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Fortune De France

Fortune De France

Titel: Fortune De France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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appuyée sur une canne (« Madame, se gaussait mon père,
qu’avez-vous besoin d’une canne ? Vous avez vingt-sept ans et vos jambes
sont solides. ») Nous étions tous couchés, et la petite Hélix se préparait
à éteindre.
    — Madame,
dis-je aussitôt, dois-je me mettre debout ?
    — Non
point, dit gracieusement la Baronne de Siorac, restez couché. Vous aussi,
Catherine.
    Mais
comme elle ne nommait ni Samson ni la petite Hélix, ceux-ci crurent bon de se
lever et de se tenir debout, en chemise et pieds nus, à côté de leurs lits,
sans que ma mère parût s’en apercevoir.
    — Monsieur
mon fils, dit Isabelle, penchant sa jolie tête de côté, le bras droit à
l’horizontale reposant sur sa canne, allez-vous bien ?
    — Oui,
madame.
    — Approche
ton calel, Franchou, sotte caillette !
    — Oui,
Madame.
    — En
effet, vous avez bonne mine, bien que le soleil commence à vous gâter le teint.
    Je
trouvai bien étonnant qu’il fallût à ma mère la lumière du calel pour s’en
apercevoir, car elle n’était pas sans me voir dans la journée, ne fût-ce qu’aux
repas.
    — Catherine,
reprit-elle en se dirigeant vers son lit, allez-vous bien ? Franchou,
stupide petite vachère, le calel !
    — Oui
Madame, dit Franchou.
    — Eh
bien, Catherine, je vous ai posé une question.
    — Oui,
madame, dit Catherine, plus morte que vive.
    Sur
quoi, ma mère marcha de long en large dans la pièce, dans toute sa beauté et sa
grâce, faisant sonner le bout de sa canne sur le plancher, et passant et
repassant devant Samson et la petite Hélix sans faire plus attention à eux que
s’ils avaient été  – comme Cathau  – de « petits
excréments » sur le bord du chemin. Quand j’y pense, il n’y avait pas à
chercher bien loin pour savoir d’où François avait tiré sa malheureuse
métaphore sur notre frère Samson.
    — Eh
bien, dit ma mère en sortant de son royal silence, je vous souhaite le bonsoir,
monsieur mon fils. À vous aussi, Catherine.
    — Merci,
madame, dis-je.
    Et
avec un temps de retard, Catherine dit d’une petite voix douce et gentille qui,
je ne sais pourquoi, me serra le cœur :
    — Merci,
madame.
    Ayant
ainsi accompli son devoir, ma mère donna un petit coup de canne sur les fesses
de Franchou pour l’inviter à la précéder, et disparut à sa suite dans
l’escalier à vis, sa jupe balayant derrière elle majestueusement les marches
dont elle maudissait à chaque pas l’étroitesse. Aussitôt la petite Hélix monta
sur le lit de Barberine et, debout, se mit à danser une gigue avec des grimaces
et des contorsions qui arrachèrent des rires à Samson. Je ris aussi. Mais
Catherine éclata en sanglots et je me levai pour la prendre dans mes bras et la
consoler.
    Le
soir suivant, ma mère, que l’escalier de la tour (où elle faillit, dit-elle,
« se rompre le col ») avait rebutée, délégua Franchou, qui vint nous
demander de sa part, calel au poing, si « monsieur son fils et
mademoiselle Catherine se portaient bien ».
    — Oui,
Franchou ! dis-je en éclatant de rire, car la petite Hélix, derrière son
dos, imitait ma mère avec sa canne.
    — Dans
ce cas, dit Franchou, ses bons yeux de vache fixés sur moi avec étonnement,
Madame votre mère vous souhaite le bonsoir.
    — Merci,
Franchou ! criai-je en riant de plus belle, et certes, je faisais bien de
me dépêcher d’en rire de peur d’avoir à en pleurer.
    Car,
en dépit de sa pompe, ma mère nous aimait. J’en ai ce jour d’hui la certitude,
si fort que j’en doutasse alors. Tant de petites choses me reviennent qui
prouvent qu’elle n’avait pas le cœur dur  – comme son intervention auprès
de la frérèche pour que fût abrégé le supplice des maraudeurs. C’est l’absurde
idée qu’Isabelle se faisait de son sang et de son rang qui l’amenait à mettre
entre ses enfants et elle tant de distance. Bien différente en cela de mon père
qui, lorsqu’il croisait Samson et moi dans un couloir de Mespech, mettait ses
bras en croix pour nous barrer la route et disait d’une voix joyeuse :
    — Halte-là,
drolasses ! Il y a un péage à payer !
    — Quel
péage, monsieur mon père ?
    — Trois
baisers chacun ! Et on paye comptant ! Sans baragouiner !
    Je
me jetais alors dans ses bras, il me soulevait dans les siens et appliquait sur
mes joues trois baisers sonores. Il en faisait autant pour Samson. Et après une
petite tape à chacun sur les fesses, il poursuivait

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