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Fortune De France

Fortune De France

Titel: Fortune De France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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gaiement son chemin.
    Ma
mère trouvait ces manières communes et sentant par trop le bourgeois. Comme la
choquaient le commerce que les deux Jean faisaient des pierres, des tonneaux et
des grains, et plus encore, la stricte économie qu’ils exigeaient dans le
ménage de la maison, et les comptes qu’ils y faisaient de tout. « Un cent
d’épingles pour Isabelle : cinq sols », notait mon père sur son Livre de raison. « Ma cousine, disait Sauveterre une semaine plus tard
en ramassant une épingle dans la cour de Mespech et en montant, soufflant et
claudiquant jusqu’à l’appartement d’Isabelle pour la lui remettre, voici, je
crois, qui vous appartient. N’égarez pas vos épingles, ma cousine. Elles sont
si chères. »
    Ce
n’est pas, j’en suis sûr, l’étroitesse des marches de l’escalier qui découragea
ma mère de venir en personne nous souhaiter le bonsoir, mais la présence de
Samson, qui lui rappelait des souvenirs si déchirants, et à un degré moindre,
celle de la petite Hélix, qu’elle détestait, ayant surpris deux ou trois fois
le regard de mon père glisser sur sa poitrine naissante. Elle n’était pas non
plus dupe, comme les deux Jean, de sa « sagesse ». En quoi son
instinct ne la trompait pas : car la petite Hélix, en l’absence de Barberine,
s’était installée dans son grand lit où Franchou partie et le calel soufflé,
elle me commandait de venir la rejoindre. J’obéissais, moitié content, moitié
inquiet. Et c’étaient alors dans l’obscurité propice et la tiédeur des draps,
des pinçons et des suçons, des morsures et des mignotements, des « je suis
dessus, tu es dessous » ou « je t’étouffe et tu m’étouffes » et
quantité d’autres jeux dont aucun n’était tout à fait innocent.
     
     
    Isabelle
de Siorac mit au monde en février 1559 un enfant mort-né et la pauvre Barberine
en fut pour ses frais. Elle resta avec un gros garçon sur les bras et « du
lait à revendre », comme elle disait. Mais les bonnes nourrices, saines,
douces et bien lachères étant rares, elle ne tarda pas à recevoir une offre
d’un riche bourgeois de Sarlat dont la femme, annuellement enceinte, venait
d’accoucher. Ma mère s’alarma beaucoup : laisser partir la précieuse
Barberine, c’était la perdre, et qu’arriverait-il quand elle-même aurait à
nouveau un enfant ? Elle persuada donc la frérèche de retenir Barberine à
Mespech comme gouvernante des enfants à un sol le jour, avec permission de
garder avec elle son nouveau-né et de le nourrir. Ma mère alla plus loin dans
la générosité en acceptant d’être la marraine et, prenant son rôle à cœur, on
la vit souvent, même en public, bercer l’enfantelet dans ses bras, tout
« petit excrément » qu’il fût et « né de rien ».
    Pour
nous, je veux dire pour Catherine, Samson et moi, ayant eu si peur de perdre
Barberine, nous fûmes au comble de la joie de la voir à nouveau trôner parmi
nous dans son grand lit, même si nous devions maintenant la partager avec un
petit braillard.
    Quand
elle revint, elle portait autour de son cou blanc et gras un collier que sa
grand-mère et sa mère (toutes deux nourrices, Barberine étant la troisième de
la dynastie) avaient porté avant elle et qui passait pour favoriser une
lactation régulière et abondante. C’était un simple fil noir (qui tranchait sur
sa peau d’une blancheur éclatante) et sur ce fil noir étaient enfilées trois
agates taillées, celle du milieu en forme d’olive très allongée et celles qui
l’encadraient parfaitement rondes. Mon père prétendait en riant qu’il
s’agissait là d’un symbole phallique hérité des païens, mais ce qu’il voulait
dire par là, je ne le compris que plus tard. Quant à Barberine, elle se signait
à ces paroles et protestait qu’elle était bonne chrétienne, et sa mère et sa
grand-mère avant elle. Alarmée cependant par le dire de mon père, elle n’eut de
cesse qu’elle n’eût ajouté une petite croix au collier, ce qui ne lui retira
rien de ses vertus, bien au contraire.
    Fin
avril 1559, les tristes nouvelles de la paix désastreuse de Cateau-Cambrésis
parvinrent jusqu’à Mespech, plongeant les deux Jean dans la fureur et la
désolation. Combien de fois depuis ai-je entendu mon père citer à ce sujet les
fortes paroles de Montluc : « En une heure, et par un trait de plume,
fallut tout rendre, et souiller et noircir nos belles victoires passées de
trois ou

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