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Fortune De France

Fortune De France

Titel: Fortune De France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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l’arracha des mains
d’Isabelle, la brisa en deux sur son genou et en jeta les morceaux par la
fenêtre. Celle-ci donnait sur l’étang qui entourait Mespech, et pendant plus
d’un mois tout le domestique put voir, non sans quelque ébaudissement secret,
les deux tronçons flotter sur l’eau.
    Isabelle
poussa un rugissement qui fit accourir mon père. Comme il ouvrait la porte de
l’appartement, il vit ma mère pâle, échevelée, les yeux hors de la tête, se
ruer sur Alazaïs, un petit poignard à la main. Mais la robuste chambrière, sans
reculer d’un pouce, lui saisit le poignet au vol, le lui tordit, et l’arme
tomba sur le plancher où elle se piqua et où mon père, tout aussitôt, la prit.
    — Monsieur,
hurla ma mère, si cette horrible ribaude ne quitte pas les lieux sur l’heure,
c’est moi qui partirai.
    — Asseyez-vous,
madame, dit mon père d’une voix sans réplique, et cessez vos cris. Si vous en
êtes à vouloir assassiner nos gens, il vaut mieux en effet, que vous quittiez
la place. Car, sachez-le, eussiez-vous eu le malheur de tuer votre chambrière,
je vous aurais livrée aux juges à Sarlat pour y languir en cellule jusqu’à la
fin de vos jours.
    — Ah !
monsieur, je le vois bien, vous ne m’aimez plus ! dit Isabelle, les larmes
lui jaillissant des yeux et, en son désespoir, se tordant les mains.
    — Par
malheur si ! dit mon père en se laissant aller sur une chaise avec un air
de lassitude et de chagrin qui fit plus d’effet sur Isabelle que tous les
reproches de la terre.
    Il
ajouta avec un soupir :
    — Hélas,
si je ne vous aimais, je ne souffrirais pas vos folies une minute de plus.
    — Suis-je
donc si folle, mon pauvre Jean ? dit ma mère en se jetant à ses genoux et
en l’entourant de ses bras.
    — À
lier, dit mon père, qui oncques ne sut résister à la beauté de ma mère, à ses
larmes, à ses manières enjôleuses. Et en cette occasion, touché encore de la
voir si douce à ses pieds, il la serra contre lui et baisa ses lèvres.
    À
cette vue, Alazaïs écarquilla les sourcils, quitta la chambre, et de son pas
lourd et résolu d’arquebusier, s’en alla trouver Sauveterre en sa tour.
    — Moussu,
dit-elle de sa voix rude, me crezi que quitaray [17]
    — Et
pourquoi donc, ma pauvre ? dit Sauveterre.
    — Je
le vois bien, Moussu lou Baron est tout ensorcelé de sa papiste. Elle a tâché
de m’occire, et trois minutes après, le voilà qui la mignonne et lui lèche le
morveau.
     
     
    Alazaïs
ne quitta pas Mespech, et l’ensorcellement de mon père ne dura que le temps
qu’il fallut pour qu’Isabelle conçût. Aussitôt notre Barberine dut s’absenter
pour se faire bailler un enfant par son mari, et la petite Hélix reçut à
nouveau le commandement de la tour et des enfants, ce qui donna plus d’aise aux
sournoises délices de mes nuits.
    L’épisode
du poignard et la réconciliation qui s’ensuivit ne furent dans la longue
querelle entre Isabelle et mon père qu’une brève accalmie, après quoi la
tempête, jour et nuit, recommença, ma mère à peine enceinte ayant déclaré tout
de gob, et non sans quelque braverie, que l’enfant à naître serait baptisé
selon le rite de son Église, comme mon père le lui avait promis à son mariage.
C’était jeter de l’huile sur le feu, lequel flamboya à nouveau et jusqu’au
ciel, non sans grand chagrin de part et d’autre, mon père, à proportion qu’il
aimait si fort Isabelle, désespéré à la pensée qu’en persévérant dans ses
idolâtries papistes elle se vouait, ainsi que son futur fils, à la damnation
éternelle.
    J’avoue
qu’en mes ans les plus tendres comme ce jour d’hui en mon âge mûr je ne vois
pas les choses ainsi. Élevé comme je le fus entre deux religions, et amené à
choisir l’une d’elles par une pression qui ne fut pas petite, je ne puis haïr
celle que j’ai abandonnée, ni détester ses « erreurs » autant que le
faisait mon père ni croire que ceux qui de bonne foi les partagent soient voués
à l’enfer, et ma pauvre mère moins qu’une autre. Mais bien peu de gens, hommes
et femmes, se trouvaient en ces temps-là dans des dispositions aussi
tolérantes, comme la suite le fit bien voir.
    Car
le cruel différend de Mespech n’était que la moindre image et le reflet en très
petit de ce qui se passait au même instant dans le royaume entier entre
catholiques et huguenots, amenant ces émotions, ces tumultes et, pour finir,
ces affreuses

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