Fourier
trouve un dernier résumé de
la doctrine, de la critique de la civilisation, et des récompenses promises à
tout fondateur potentiel, ainsi qu’un plan de l’organisation et de la
nomenclature du livre, un réponse aux « critiques bénévoles », et une série
d’instructions détaillées pour différents types de lecteurs.
Fourier prête une attention toute particulière au choix du
titre. « En bonne forme, écrit-il, il eût fallu intituler cet ouvrage, THEORIE
DE L’UNITE UNIVERSELLE. » Mais ses compatriotes croulent déjà sous les ouvrages
qui prétendent expliquer l’unité de l’univers et ne sauraient distinguer un
véritable inventeur d’un charlatan. Un titre plus simple semble donc approprié.
Après avoir consulté amis et relations à Besançon, Fourier décide de présenter
sa théorie sous le titre le « plus modeste » qui soit : Traité de l’association
domestique-agricole*.
* Ce titre ne plaira guère aux futurs disciples. Comme
l’écrit l’un d’eux en 1824 : « A votre place [...], je changerais le titre de
l’ouvrage, il n’annonce nullement son but, il ne laisse pas entrevoir la
grandeur de votre dessein [...]. Vous changez totalement le système social; il
faut que le titre l’annonce. » Gabriel Gabet à Fourier, 2 octobre 1824, AN 10AS
25 (2). D’autres sont trompés par ce titre : le radical russe Piotr Lavrov doit
sa découverte précoce de Fourier à son père, qui croyait acheter un traité
d’agronomie. Voir N. S. Rusanov, Biografia Petra Lavrovicha Lavrova : ocherk
ego zhizni i deiatel'nosti (n.p., 1899), II.
Son traité baptisé, Fourier s’attaque aux tâches pratiques.
L’échec des Quatre Mouvements lui a appris qu’il aura à faire des concessions à
la « cabale littéraire des Parisiens » : il va lui falloir présenter son livre
comme émanant de Paris, trouver un libraire parisien de confiance qui veuille
bien apposer son nom sur la première page et se charger de la vente et de la
distribution ; et une fois que le livre aura paru, il lui faudra monter
lui-même à Paris pour promouvoir les ventes et se tenir à la disposition
d’éventuels mécènes.
En août 1822, Fourier commence à envoyer des lettres aux
libraires parisiens. Les premières réponses sont prudentes. Le libraire
Delaunay informe Fourier qu’il serait d’accord pour s’occuper du Traité «
pourvu, toutefois, qu’il ne soit pas question dans cet écrit de politique ».
Brunot-Labbe, dont les entrepôts abritent encore quelques caisses poussiéreuses
pleines des Quatre Mouvements, lui fait une réponse similaire : « Vous ne
mettrez mon nom sur le titre du livre qu’autant que cet ouvrage sera d’une
saine littérature, ni qu’il attaquera aucun parti, et qu’il n’y aura rien
contre nos institutions et notre gouvernement 36 .
»
Fourier ne choisira ni Delaunay ni Brunot-Labbe, mais deux
autres libraires : Bossange père, de la rue Richelieu, et Mongie aîné, du
boulevard Poissonnière. Le premier, qui compte le duc d’Orléans au nombre de
ses clients, est bien établi sur la place de Paris. Mongie, dont l’affaire est
beaucoup plus modeste, fera faillite en 1832. Ils donnent tous deux leur accord
pour faire figurer leur nom sur la page de titre et vendre le livre contre une
commission. S’ensuit au mois de septembre un vigoureux échange de lettres entre
l’auteur et ses deux libraires. Bien que l’on ait perdu les lettres de Fourier,
l’une des réponses de Mongie ne laisse pas de doutes sur les espoirs qu’il
nourrissait : « Votre ouvrage pourra sans doute avoir un rapide succès s’il a
tous les avantages dont vous me parlez. Je le souhaite de tout mon cœur. [Mais]
j’ai vu tant d’espérances trompées depuis 30 ans que je fais de la librairie,
que j’attends toujours l’effet pour y croire entièrement 37 . » Mais l’enthousiasme de Fourier était
contagieux : dans la même lettre, Mongie parle déjà d’une deuxième édition
après une première publication à dix mille exemplaires.
Reste un dernier problème : la censure. Une nouvelle loi très
stricte est entrée en vigueur après l’assassinat du duc de Berry en 1820. Des
poètes et auteurs de pamphlets aussi populaires que Béranger ou Paul-Louis
Courier ont été mis en accusation et le procès d’un critique peu connu appelé
Henri Saint-Simon devient cause célèbre. Soucieux d’éviter de telles
difficultés, Fourier annonce son livre comme un « divertissement » par rapport
aux
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