Fourier

pour débattre
des questions d’orthodoxie gastronomique et des thèses défendues par les «
sectes d’hérésie locale » semblables à celles des « Albigeois en France, des
Hussites en Bohême 31 ».

IV
    Les pulsions agressives qui sous-tendent les guerres seront donc
un jour canalisées en pacifiques concours de gastronomie. Soit. Mais que
propose Fourier en matière de politique et de pouvoir ? D’où émaneront les
décisions dans la Phalange ? Qui détiendra l’autorité et comment
s’exercera-t-elle ? Y aura-t-il des méthodes disciplinaires et punitives et
quelles seront-elles? Toute théorie utopique soulève inévitablement ce genre de
questions. Fourier, lui, les juge sans grande importance : il est persuadé
d’avoir trouvé les principes de l’organisation sociale naturelle. Il a imaginé
un ensemble d’institutions qui permettent la libre expression de la nature
humaine, délivrent l’homme de sa sujétion à une autorité extérieure et
éliminent la principale cause de criminalité ou de comportement antisocial.
L’utopie de Fourier n’a donc aucun besoin d’Etat, de juges, de cours, de police
ou d’une quelconque force coercitive si ce n’est pour « quelques arbitrages 32 ».
    Il existe bien une autorité nominale dans la Phalange. Dans les
premiers temps, les décisions administratives quotidiennes seront prises par
une Régence composée des membres les plus riches et les plus cultivés. Les
premiers mois, avant la première récolte de la Phalange d’essai, seront
consacrés à l’intendance, la distribution des uniformes et la location des
appartements. Mais une fois la vitesse de croisière acquise, la Régence cédera
la plupart de ses pouvoirs à d’autres organisations, dont la plus importante
sera l’Aréopage ou le Conseil suprême de l’industrie.
    Cet Aréopage, qui exercera ce que Fourier appelle une « autorité
d’opinion », sera d’abord constitué des officiers en chef des séries
industrielles 33 . Il inclura
également les principaux actionnaires de la Phalange et quelques autres
dignitaires, dont les représentants des trois « tribus » d’aînés : les
révérends, les vénérables et les patriarches. Fourier souligne que « tout étant
réglé par l’attraction », l’Aréopage n’aura pas à promulguer des lois ou à
inventer des statuts. Il aura pour tâche principale de prendre certaines
décisions pratiques : décider du meilleur moment pour les semis et les
récoltes, établir un calendrier pour les travaux de construction et de
réfection... Ces choix seront en général respectés au sein de la Phalange, mais
n’auront en aucun cas force de loi. Si, par exemple, un groupe de cultivateurs
de pommes souhaite repousser la date de la récolte contre l’avis de l’Aréopage,
il sera parfaitement libre de le faire. D’autre part, l’Aréopage n’aura aucun regard
sur la distribution des dividendes : celle-ci se fera automatiquement selon la
formule établie. Les autres questions financières seront dévolues à une série
spéciale de comptables.
    Si les responsabilités de l’Aréopage semblent limitées, elles
seront tout de même considérables par rapport à celles des autres dignitaires
de la Phalange. Fourier semble avoir adopté la devise de Napoléon : « C’est
avec des colifichets que l’on gouverne les hommes. » Napoléon a créé la Légion
d’honneur et les barons ; les monarques de l’Ancien Régime ont enrichi leur
trésor en vendant des titres sans importance. Mais Fourier va plus loin et
imagine une hiérarchie de titres et de fonctions tellement riche que, sur une
population optimale de quatre milliards, il peut se targuer de créer « environ
quarante millions de couples souverains dans l’Harmonie, en divers degrés 34 », depuis les Primarches, huit « couples
» qui se succéderont à la tête d’une Phalange, jusqu’aux treize Omniarques, ou
dignitaires suprêmes présidant à la destinée de tout l’univers phalanstérien.
En outre, « pour ouvrir plus de chances aux ambitions individuelles », Fourier
précise que des titres spéciaux seront accordés aux personnes qui se
distingueront dans l’exercice de leurs fonctions. Chaque Phalange aura ses
sibylles, roitelets et pontifes des deux sexes, sans parler des archifées,
archicoëres et archicoëresses.
    Les manuscrits de Fourier sont truffés de calculs et de
réflexions sur les « sceptres pivotaux et cardinaux » ou sur « l’échelle