Fourier
réussite dans les affaires, lorsqu’on voit que son enrichissement est
fondé sur la ruine d’une famille dont toute la fortune a passé dans ses mains,
et à qui il ne reste de son aisance passée que les chiffons que celui-ci a tirés
de la poussière des ses magasins. »
V
En 1781, peu après la mort de son père, Fourier entre au collège
de Besançon. Les sombres bâtiments de pierre où il passa six ans de collégien
sont toujours debout, formant aujourd’hui la partie centrale du lycée Victor-Hugo.
Déjà, à l’époque de Fourier, le collège de Besançon était une vénérable
institution 39 . Fondé, à la fin du
XVIe siècle, par les Jésuites, il était passé, après l’expulsion de ceux-ci
hors de Franche-Comté en 1765, sous la direction de prêtres séculiers. Le corps
enseignant y était entièrement composé d’ecclésiastiques et l’assistance
quotidienne à la messe était obligatoire. Mais la scolarité y était gratuite,
et, quand Fourier y entre, c’est un lieu de brassage social où l’on voit les
fils de l’aristocratie franc-comtoise frayer avec des fils de fonctionnaires,
de marchands, voire de paysans. Comme l’écrit son historien le plus récent :
Aux heures d’entrée et de sortie des classes une cohue
juvénile bruyante animait [...] l’austère rue Saint-Antoine. On reconnaissait à
leurs riches vêtements les enfants de l’aristocratie comtoise, les Terrier de
Santans, les Mareschal de Longeville, les Damey de Saint-Bresson, les Varin
d’Ainvelle. Mais ils étaient noyés dans la masse grandissante des fils de fonctionnaires,
de marchands et même de paysans, les Martin, les Touraille, les Moutrilles, les
Pion, etc 40 .
Plusieurs de ces fils de la bourgeoisie joueront un rôle
important dans la vie de la région. Le meilleur ami de Fourier au collège,
Jean-Jacques Ordinaire, va devenir le principal disciple français de
Pestalozzi, puis, à sa création en 1810, le premier recteur de l’Académie de
Besançon. Un autre camarade de classe, Pierre-Claude Pajol, servira avec le
rang de général dans l’armée napoléonienne. Deux ans avant Fourier, il y avait
eu Pierre-Joseph Briot, dont le chemin va par la suite croiser à plusieurs
reprises celui de Fourier et qui va rapidement acquérir une notoriété en
Franche-Comté comme journaliste et député jacobin 41 .
L’instruction que Fourier reçut au collège de Besançon a beau ne
pas être mauvaise pour l’époque, elle n’est guère de nature à satisfaire ni
même susciter sa curiosité. C’est une éducation classique, dans toute la
sévérité du terme. L’accent y est mis sur la logique, la rhétorique, la
théologie et, bien entendu, le latin et le grec. Qu’elle ait laissé sa marque
sur Fourier, on le voit, entre autres choses, à son aptitude à habiller d’une
apparence de rigueur logique les spéculations les plus fantastiques. Au fait
qu’il sait son catéchisme sur le bout du doigt. A une grande familiarité avec
les langues anciennes, dont témoignent aussi bien les tirades en latin dont il
parsème à l’occasion ses écrits que les néologismes qu’il aime à former sur des
racines latines ou grecques. En matière de sciences ou de littérature
française, en revanche, l’enseignement du collège reste plutôt pauvre. La
physique et les mathématiques intéressent le jeune Fourier, mais on les
enseigne de manière totalement archaïque.
Quant au contact avec la littérature française, même la dernière
année, en classe de rhétorique, il se borne à l’imitation des grands modèles de
l’éloquence sacrée : Bossuet, Bourdaloue, Fléchier, Massillon, d’Aguesseau ou
Longin. Ni Corneille, ni Racine, ni Molière, ni Boileau ne figurent au
programme. Fourier s’en plaignait plus tard : « J’ai étudié six ans dans un
collège où il était défendu aux professeurs d’enseigner la versification
française 42 . » On fait de
l’histoire, ancienne et moderne, et, à en juger par les écrits manuscrits de Fourier
sur l’éducation, c’est une matière qui lui plaît, au moins l’histoire ancienne.
Toutefois, si Mme Rolland et Camille Desmoulins pleuraient, on s’en souvient,
de n’avoir pas vécu à l’époque classique, Fourier pour sa part ne verse guère
de larmes à l’évocation de l’Antiquité. Il aime cette époque pour des raisons
moins sentimentales :
L’enfant est séditieux ; il aime ce régime cabalistique de
la Grèce et de Rome où le peuple, toujours
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