Fourier
du chef de
famille augmenta la pression qui s’exerçait pour que Charles entre dans le
négoce. Fourrier père laisse une très grande fortune - un inventaire dressé au
lendemain de sa mort fait état d’ « un avoir effectif de 200 517 livres 4 sols
3 deniers ». Son testament stipule que son épouse doit hériter d’une somme
équivalente à la valeur de sa dot et de sa propriété personnelle. Le reste,
soit près de 110 000 livres, devait être divisé entre les enfants, Mme Fourrier
en gardant l’usufruit jusqu’au mariage de ses filles et à la majorité de
Charles. Unique garçon, Charles doit hériter d’environ 43 000 livres, soit le
double de la somme laissée à chacune de ses sœurs**.
** Il est notoirement difficile de traduire en équivalent
moderne la monnaie de l’Ancien Régime. Pour donner quelque idée de l’ampleur de
ces sommes, on peut rappeler que, à la fin du XVIIIe siècle, un revenu de deux
ou trois mille livres par an suffit généralement aux besoins d’une famille
d’artisan, et que la portion congrue (le salaire minimum annuel) d’un prêtre
sans bénéfice ne dépassait pas cinq cents livres par an jusqu’en 1786, puis
sept cents à partir de cette date. Certes, sous l’Ancien Régime, les disparités
de fortune étaient énormes et certains nobles avaient du mal à vivre sur le
pied où ils l’entendaient à Paris avec un revenu de vingt mille livres. Il n’en
reste pas moins que pour un négociant de province, Charles Fourrier était un
homme plus qu’à l’aise et que l’héritage qu’il laissait à son fils dépassait ce
que plus d’un paysan pouvait espérer gagner en toute une vie de labeur.
Mais le testament stipule aussi que Charles ne recevra sa part
(en trois tiers, à vingt, vingt-cinq et trente ans) qu’à condition de faire
alors « commerce à son compte » ou de se trouver « intéressé dans quelque
société ». En revanche, s’il « ne se déterminait pas pour l’état du commerce »,
il ne recevrait rien avant ses trente ans, et à cette date la moitié seulement
du legs initialement prévu *.
* Le testament stipulait que l’héritage de Fourier lui
serait payé en plusieurs fois : un tiers à l’âge de vingt ans (à condition
qu’il ait à cet âge embrassé une carrière dans le négoce), un second tiers à
vingt-cinq ans (pourvu qu’il soit marié et n’ait pas quitté le négoce), le
dernier tiers à l’âge de trente ans. Fourier devait en fait toucher la totalité
de son héritage à l’âge de vingt et un ans. Pour le texte du testament, voir
Pellarin, Fourier, 170-171.
D’outre-tombe, Charles Fourrier père tentait ainsi de dicter son
avenir à son fils. Aider sa veuve à gérer l’affaire familiale était chose plus
malaisée. S’en sentant incapable toute seule, Mme Fourrier décide, peu après la
mort de son époux, de prendre comme associé son beau-frère, Antoine Pion,
propriétaire d’un petit magasin de vêtements de détail. Cette association, qui
durera exactement trois ans, ne sera guère heureuse pour la famille Fourrier.
Profitant du manque d’expérience et du peu d’instruction de Mme Fourrier, Pion
s’arrange pour faire ce que la famille appela plus tard un « profit scandaleux
» dans l’estimation des biens que chacun mit dans l’association. Trois mois
après la signature des papiers, il avait déjà réussi à rembourser une dette
personnelle de 30 000 livres. Quand, au bout de trois ans, Mme Fourrier dénonce
l’accord d’association, elle ne parvient pas à récupérer plus de 84 000 livres
sur les 204 000 qu’elle avait confiées aux soins de son beau-frère. Le reliquat
ne lui parviendra qu’en 1793. Et, qui plus est, en assignats dévalués.
Lorsqu’en 1793 Fourier réclame son héritage, c’est également sous cette forme
qu’il lui est versé 38 **.
** Les machinations grâce auxquelles Pion transforma cette
association en mine d’or pour lui-même sont narrées en détail dans un pamphlet
intitulé « Tableau des bénéfices qu’Antoine Pion a eu l’art de se créer dans la
succession de Charles Fourrier, en s’associant avec sa veuve », AN 10AN 20
(10). Bien que sans signature ni date, ce pamphlet est peut-être de la main de
Fourier lui-même. Il se termine sur une note d’exagération pathétique : «
Faut-il s’étonner qu’Antoine Pion, qui avant son association avec la veuve
Fourier n’avait qu’un petit commerce de détail, ait soudainement connu une
brillante
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