Fourier
ses
disciples, « une répugnance prononcée ainsi qu’une incapacité notable » pour
ces études 48 .
Beaucoup plus d’attrait aurait eu pour lui la perspective de
faire des études d’ingénieur à l’École de génie militaire de Mézières. L’accès
à cette école, un des hauts lieux des études scientifiques dans la France du
XVIIIe siècle, est réservé aux jeunes gens de naissance noble. Un moment,
Fourier espère que sa famille parviendra à acquérir des lettres de noblesse
auxquelles lui donne droit sa filiation avec le Dominique Fourier anobli en
Lorraine. Peu avant sa mort, son père a effectivement envisagé d’entreprendre
la recherche généalogique à l’abbaye de Theuley, entre Gray et Langres. « Cela
nous aurait donné au moins quatre cents ans de noblesse », écrit plus tard
Fourier, « mais il était déjà malade et laissa languir cette affaire que ma
mère contrariait, parce qu’elle aurait coûté au moins 25 louis de frais 49 ».
VI
Fourier sort du collège alors que s’ouvre ce qu’on a coutume d’appeler
la pré-Révolution. Le vieux conflit qui oppose monarchie et parlements est en
train d’atteindre son point de rupture. A la recherche d’argent pour payer les
intérêts sur l’énorme dette de l’Etat, Louis XVI se voit contraint de convoquer
une réunion des états généraux, la première depuis 1614. Plusieurs parents de
Fourier jouent un rôle dans ces événements et dans la fermentation
révolutionnaire qui s’ensuit. Son cousin, Hyacinthe Muguet de Nanthou, participe
aux états généraux dans les rangs du tiers état, comme élu du bailliage d’Amont
(aujourd’hui dans la Haute-Saône). Antide de Rubat, époux de sa sœur aînée,
Mariette, est élu à la Législative en 1791 50 .
L’un comme l’autre sont plutôt des modérés, mais la famille comptera aussi un
militant jacobin en la personne de l’époux de sa sœur Lubine, Clerc, qui va
devenir l’un des membres les plus influents du Comité révolutionnaire de
Besançon.
Plus tard, Fourier n’exprimera que mépris pour le « vandalisme »
et les « illusions de la Révolution française ». Dans son premier ouvrage
publié, il cite spécifiquement « la catastrophe de 1793 » comme l’événement qui
lui « fit soupçonner l’existence d’une science sociale encore inconnue 51 ». Etant donné sa haine viscérale de la
Révolution et l’importance qu’elle eut dans le cheminement de sa pensée, on
aimerait en savoir plus sur l’attitude qui fut la sienne face au processus
révolutionnaire qui s’enclenchait sous ses yeux. Malheureusement, il n’y a, sur
ce chapitre, pas grand-chose à glaner ni de ses écrits ni des documents en
notre possession. Nous savons qu’à Dijon, en 1787, Fourier reste encore
indifférent aux débats en cours sur les prérogatives respectives du parlement
de Dijon et des Etats provinciaux. « Je m’informais peu de cela ; j’étais en
rhétorique, âgé de quinze ans, plus occupé de courses amusantes que de
discussions politiques 52 . » Dans
les manuscrits, on trouve toutefois une brève remarque de caractère politique,
où il parle d’une discussion sur « les illusions de la liberté, égalité et
fraternité ». « J’ai moi-même partagé ces illusions en 1789 », écrit-il. « A
plus forte raison doivent-elles régner chez coryphées ou aveugles 53 . »
Quoi qu’ait pensé Fourier des grands événements de 1789, sa mère
était, pour sa part, d’avis que, deux ans après sa sortie du collège de
Besançon, il était temps pour lui de suivre les traces de son père et d’entrer
dans le négoce. On lui trouve donc un emploi à Lyon dans un établissement
bancaire dirigé par le financier suisse Schérer. Fourier se laissa convaincre
de faire le voyage jusqu’à Lyon. Sa description de ce qui s’ensuivit parle
d’elle-même :
Entraîné à Lyon par l’appât d’un voyage, et arrivé à la
porte du banquier Schérer, où l’on me conduisait, je désertai en pleine rue,
déclarant que je ne serais jamais marchand. C’était refuser l’hymen aux marches
de l’autel 54 .
Il y échappe pour cette fois-là, mais ce n’est que partie remise
: il aura du mal à esquiver un état auquel sa famille le prédestinait. L’année
n’est pas terminée qu’à nouveau on fait son siège : il doit entrer dans le
négoce. Cette fois, la destination qu’on lui a choisie est Rouen. Pour donner
plus d’attrait à cette perspective, on lui donne la
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