Fourier
amoureuses des
Harmoniens, Fourier a sans doute subi l’influence de la tradition littéraire :
le XVIIIe siècle situait volontiers ses utopies loin de l’Europe du Nord et
c’est Cnide, justement, et son célèbre temple dédié à Aphrodite, que
Montesquieu avait déjà choisi pour son Temple de Cnide. Sans doute voulait-il souligner
ainsi qu’il évoquait cette fois un ordre social plus radicalement différent
encore des mœurs européennes que celui décrit dans ses œuvres publiées. Dans le
Traité de l’association et dans Le Nouveau Monde industriel, sa description
d’Harmonie portait sur la « phalange d’essai ». Ici, dans Le Nouveau Monde
amoureux, il s’agit d’individus nés et élevés en Harmonie et donc totalement
indemnes des maux psychiques et physiques de la civilisation. Fourier s’en
explique d’entrée de jeu : ce n’est pas sur la civilisation qu’il va cette fois
spéculer : « C’est sur un ordre de choses où les moindres des hommes seront
riches, polis, aimables, vertueux et beaux, sauf l’extrême vieillesse, un ordre
où nos coutumes de mariage et autres étant oubliées, leur absence donnera lieu
à une foule d’innovations amoureuses, dont nous ne saurions nous former une
idée 27 . »
Au premier rang des « innovations amoureuses » prescrites par Fourier
pour chaque phalange vient l’établissement d’une Cour d’Amour, qui serait régie
par une hiérarchie complexe : pontifes, chefs du sacerdoce, Haute Matrone,
confesseurs, fées, génies, fakirs, etc. A la fois corps judiciaire et
institution récréative, cette cour d’amour se réunirait chaque soir, une fois
les enfants et les chastes vestales partis se coucher. Elle serait présidée par
un pontife, toujours une dame d’âge canonique et fort experte en intrigue
amoureuse. Il lui incomberait d’organiser divertissements et bacchanales,
auxquels tous les membres de la phalange participeraient. Elle aurait aussi la
responsabilité de veiller au respect du « code amoureux » réglant dans le plus
minutieux détail l’activité sexuelle des membres de la communauté.
L’idée d’un « code » amoureux peut paraître déplacée dans une
société totalement libertaire, mais le code imaginé par Fourier n’est pas plus
coercitif que ses séries et groupes industriels : il ne fait que stipuler les
règles en vigueur dans les diverses corporations amoureuses de la Phalange,
corporations dont tous les membres sont volontaires. Et si le code impose
l’authenticité et la sincérité, il n’enrégimente pas pour autant la vie
sexuelle. Les jeunes gens et jeunes filles appartenant, par exemple, au
Damoisellat sont tenus, de par les statuts de leur corporation, au respect de
la fidélité. Quiconque transgresse cette règle sera « condamné » par la cour
d’amour ou bien à être « déchu » du Damoisellat, ou bien à gagner une «
indulgence », ce qui s’obtient « pour prix d’actes vertueux et concessions
voluptueuses au sacerdoce ». En Harmonie, l’infidélité n’est pas un péché grave
; l’hypocrisie, si. Les « pénitences » qu’impose la Cour d’Amour ont pour objet
de décourager la duplicité et d’empêcher qu’on se prétende autre qu’on est.
Spirituelle parodie du catholicisme, le système d’indulgences et de pénitences
imaginé par Fourier est aussi une nouvelle forme d’institution philanthropique.
Les « actes vertueux » imposés à titre de rédemption à qui a transgressé les
règles de sa corporation servent toujours, en effet, à apporter
l’assouvissement sexuel aux nécessiteux. Indulgences et pénitences aident ainsi
à garantir que « personne capable d’amour » ne soit « frustré dans son désir 28 ».
La variété sera la loi de la vie phalanstérienne. Or, beaucoup
d’individus auront des désirs et des penchants amoureux qui ne trouveront pas à
se satisfaire dans le cadre d’une seule et unique communauté. Aussi, dans le
nouvel ordre, ce ne seront que voyages constants : des troupes d’aventuriers,
de troubadours, de chevaliers errants parcourront le globe à la recherche de
plaisirs qu’ils n’ont pas réussi à obtenir dans leur région d’origine. Les gens
sujets à des manies d’une grande rareté se retrouveront régulièrement pour un
rassemblement international : « Cette réunion sera pour eux un pèlerinage aussi
sacré que celui de La Mecque pour les Mahométans 29 . »
Dans ce va-et-vient incessant, des inconnus ne cesseront de
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