Fourier
dans un groupe d’âge donné, on ne trouvera pas
de dénominateur commun : tel est plus porté vers la sensualité, tel autre sur
le sentiment ; tel est hétérosexuel, tel autre homosexuel : forcer tout le
monde à entrer dans le même carcan ne peut qu’engendrer douleur et frustration.
La législation du Nouveau Monde amoureux permettrait
l’assouvissement de maints désirs que la civilisation condamne, les taxant de
perversité. Dans ses œuvres publiées, il est vrai, Fourier parle parfois sur un
ton caustique des « spartiates modernes » ou d’autres minorités érotiques. Mais
il suffit de parcourir Le Nouveau Monde amoureux pour se convaincre que
l’objectif que se fixe Fourier est bien l’émancipation de toutes ces minorités,
dans la mesure du moins où leurs activités ne les mènent pas à user et abuser
d’autrui. Lesbiennes, sodomites, fétichistes, flagellants, tous ont leur place
dans la description qu’il fait de la vie amoureuse telle qu’elle s’épanouira
dans les stades les plus avancés d’Harmonie. Bien plus, les grades supérieurs
de la hiérarchie érotique imaginée par Fourier ne sont accessibles qu’aux
individus animés d’une attraction passionnée pour l’un et l’autre sexe. Fourier
n’approuve aucune pratique sexuelle impliquant des enfants non pubères, mais
dès qu’il s’agit d’adultes consentants, il ne trouve rien à redire à l’inceste
même, dont il parle avec son détachement habituel : « Et pourtant, qu’est-ce que
l’inceste ? C’est un amalgame de 2 cardinales mineures, des 2 affections
d’amour et de famillisme 16 . » Sa
conviction est que l’inceste est chose infiniment plus commune en civilisation
qu’on ne veut généralement l’admettre. Toutefois, la prohibition officielle
frappant l’inceste restant forte, il fait une concession : on la respectera, du
moins dans les premiers stades de la transition de la Civilisation vers
l’Harmonie.
Voici la règle qu’on suivra à cet égard :
L’harmonie innovera brusquement sur les coutumes
d’ambition, d’économie domestique, industrielle, où toute innovation lucrative
et commode ne saurait choquer personne. Mais elle ne procédera que par degrés
sur les innovations religieuses et morales qui heurteraient les consciences,
par exemple sur l’inceste, quoiqu’il soit de règle d’autoriser tout ce qui
multiplie les liens et fait le bien de plusieurs personnes sans faire le mal
d’aucune 17 .
Fourier se montre également accommodant envers les penchants et
les fixations érotiques qu’il appelle manies amoureuses. « Les manies sont des
diminutifs de passions, des effets du besoin qu’a l’esprit humain de se créer
des stimulants 18 . » Un lecteur de
Freud verra peut-être dans le fétichisme du pied ou la manie de gratter les
talons un symptôme de névrose ; pour Fourier, il s’agit de l’expression d’un
besoin authentique, et il lui réserve une place dans son utopie.
Au nombre des préceptes de Fourier pour un nouveau monde
amoureux figure une modification radicale du statut de la femme. Dès le début
de sa carrière, dans sa Théorie des quatre mouvements, Fourier avait soutenu
avec vigueur que l’émancipation de la femme constituait la clef du progrès
social dans tous les domaines. « Les progrès sociaux s’opèrent en raison du
[proportionnellement au] progrès des femmes vers la liberté », écrivait-il
alors. Ou encore : « Il n’est aucune cause qui produise aussi rapidement le
progrès ou le déclin social que le changement du sort des femmes 19 . » C’est l’« ouverture des sérails » qui
avait permis la transition des sociétés barbares à la société civilisée : « de
l’absolue servitude des femmes », on était passé au système du mariage
monogame, qui au moins accordait certains droits civiques aux épouses. On
serait allé encore plus loin sur la route du progrès si seulement les
révolutionnaires avaient osé s’attaquer sérieusement à l’institution du
mariage.
Il a tenu à bien peu de chose que le vandalisme de 1793
n’ait produit subitement une 2e révolution aussi merveilleuse que la 1re était
horrible. Le genre humain tout entier touchait à sa délivrance : l’ordre
civilisé, barbare et sauvage allait disparaître à jamais, si cette Convention
nationale, qui foulait tout les préjugés, n’eût pas fléchi devant le seul qu’il
importait d’abattre, devant celui du mariage. [...] Tel est le coup de partie
qu’a
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