Fourier

la
métempsycose ; puisque par ailleurs toute vie terrestre doit cesser au bout de
quatre-vingt mille ans, il n’oublie pas de préciser ce qu’il adviendra d’elles
après l’extinction de la vie sur la planète 27 .
    Selon la théorie fouriériste de la métempsycose, l’âme humaine
va et vient entre ce monde et l’autre. Durant les quatre-vingt mille ans
alloués à la terre, chaque âme humaine, qui n’est autre que l’émanation d’une «
grande âme planétaire », se verra attribuer 810 (ou 1 620) vies, dont la moitié
se déroulera dans ce monde et l’autre moitié dans l’autre. De ces vies, 765
seront heureuses et 45 malheureuses. Ainsi, chaque âme sera dûment dédommagée
pour les peines qu’elle aura eu à endurer pendant les périodes malencontreuses
de l’histoire humaine. Il y aura des centaines de vies heureuses à vivre sur
terre et plus encore au paradis puisque chacune d’entre elles sera deux fois
plus longue.
    Fourier tient à préciser que le paradis harmonien ne saurait en
rien ressembler ni à la monotone vie future promise aux chrétiens, ni à
l’Elysée tout aussi assommant de la tradition classique. Les croyants de la
civilisation ne peuvent tout au plus espérer que « des promenades monotones »
ou bien un Olympe où dieux et demi-dieux dégustent jour après jour de
l’ambroisie. Le paradis du monde civilisé est un « séjour ascétique » où les
âmes doivent se priver de leurs passions et de leurs « sens principaux, goût et
tact ». Le paradis harmonien au contraire promet activités et réjouissances
pour tous les sens et chacune des douze passions, qui y sont par ailleurs
raffinés à l’extrême. L’œil humain, par exemple, est pourvu d’une telle acuité
que les âmes des morts peuvent à loisir observer tout ce qui se passe sur
n’importe quelle planète du système solaire. Les âmes acquièrent également de
nouvelles facultés, comme celle de pouvoir planer dans les airs, ce que les
êtres terrestres ne peuvent accomplir qu’en rêve. Grâce à ces pouvoirs, à ce
décuplement de leurs sens et passions, les âmes harmoniennes mènent des vies
extraterrestres plus actives et plus exquises encore que celles des vivants.
    Tant que dure la vie sur terre, les âmes seront logées, pour
leurs séjours extraterrestres, dans des corps « formés de l’élément que nous
nommons Arôme, qui est incombustible et homogène avec le feu 28 », et seront capables, durant ces
séjours, de se remémorer toutes leurs vies antérieures. En revanche, quand la
terre s’éteindra, toutes les âmes seront absorbées par la grande âme planétaire
d’où elles sont issues. Les vies individuelles seront oubliées, et chaque âme
ne se souviendra que des grandes lignes de l’évolution de la planète en quatre
phases. Puis tout cela tombera aussi dans l’oubli et l’âme planétaire s’attachera
à une jeune comète errante qui, après une période de maturation, formera à son
tour une planète. Une nouvelle vie commencera alors pour l’âme planétaire.
    Fourier envisage donc la mort de la planète et la sienne propre
sans appréhension aucune. Car s’il reconnaît que la mort et la finitude sont
indissociables de la condition humaine, son imagination les dépasse en une
vision de la fusion de l’âme humaine avec celle de la planète, du soleil, et de
l’univers. Il ne s’arrête d’ailleurs pas en si bon chemin puisqu’il postule
également l’existence de binivers et trinivers. Chaque individu finira par se
fondre dans le tout, qui est animé des mêmes passions et des mêmes énergies
sexuelles que les êtres.

CHAPITRE XVII
Le poème cosmologique
    Dans tout ce qu’il publie après 1808, Fourier se préoccupe
essentiellement de la doctrine de l’association. Persuadé que ses contemporains
sont à même de créer un ordre social qui libérerait les passions et
transformerait la nature du travail, il se donne pour mission de le décrire. Or
les Quatre Mouvements ainsi que les divers manuscrits montrent que la doctrine
de l’association, la psychologie, les réflexions sur le travail et la sexualité
ne sont, de toute évidence, que les éléments d’un système intellectuel beaucoup
plus vaste : il s’agirait d’englober ou de remplacer toutes les disciplines
scientifiques afin de rendre possible une explication totale et organique du
monde à partir de quelques lois fondamentales. Par ce projet, baptisé « théorie
des destinées », Fourier