Fourier
d’abeilles et le barrage de castors sont les modèles de l’Harmonie; et
dans chacune des plumes de la queue d’un paon, Fourier reconnaît un chœur de la
Phalange ; quant à la métamorphose de l’horrible chenille en merveilleux
papillon, que peut-elle représenter sinon la transformation future de l’homme ?
L’on peut estimer que tout cela est pure perte de temps.
Pourtant, ces passages ont une cohérence et une poésie qui leur sont propres.
Tout arbitraire qu’elle puisse paraître, la théorie de l’analogie universelle,
comme beaucoup d’autres éléments de la pensée de Fourier, célèbre l’ordre et
l’harmonie du monde sous l’apparent chaos et confère à toute chose une
dimension humaine ; c’est une expression, et non la moins intéressante, du
désir qu’a Fourier d’en finir avec le clivage homme-nature.
IV
Comment Fourier a-t-il conçu sa cosmogonie et sa théorie de
l’analogie ? Lui sont-elles propres ou bien les doit-il en partie à d’autres
penseurs ? Où les situer dans l’histoire des idées ? Fourier répugne tellement
à dévoiler les origines de sa doctrine qu’il semble impossible de répondre à la
première question autrement que de façon superficielle.
On a souvent tenté de relier Fourier à la tradition occulte,
représentée notamment par Emmanuel Swedenborg, Louis-Claude de Saint-Martin ou
d’autres illuministes de la fin du XVIIIe siècle. Ce sont les premiers
disciples de Fourier, eux-mêmes amateurs de sciences occultes, qui lancèrent la
mode. Plus récemment, Simone Debout a fait de Fourier un crypto-martiniste, et
Gérard Schaeffer lui a attribué une croyance pythagoricienne en les propriétés
mystiques des nombres 37 . Selon
Maurice Lansac, certains chapitres des Quatre Mouvements seraient les
transcriptions de conférences données devant les loges maçonniques de Lyon, et
l’on a même épilogué sur un certain « talisman protecteur » qu’aurait porté
Fourier 38 . Or Fourier a
explicitement désavoué la mystique des nombres 39 ; aucun indice ne permet d’affirmer quoi que ce soit sur son prétendu talisman
ou sur de supposées conférences maçonniques. L’on peut évidemment établir des
parallèles entre la doctrine de Fourier et celles de Swedenborg ou Saint-Martin,
trouver de remarquables similitudes entre sa cosmogonie anthropomorphique et
sexualisée et celle de Restif de la Bretonne 40 .
Mais l’idéalisme et le mysticisme des illuministes, leur pratique de la magie,
leur fascination pour les rites initiatiques et leur croyance en une tradition
sacrée sont totalement étrangers à l’esprit de Fourier. Laissant à Swedenborg
le soin de décrire la Nouvelle Jérusalem d’après les révélations que lui
auraient faites les anges, Fourier, lui, prétend consacrer sa vie à l’étude
scientifique d’un nouveau monde de significations et d’harmonies cachées 41 .
Fourier reconnaît à quelques philosophes « expectants » le
mérite d’avoir anticipé sa vision de l’univers comme réseau d’analogies. Il
cite souvent à ce titre les Études de la nature de Bernardin de Saint-Pierre 42 , ou l’allemand Schelling qu’il lit en
deuxième (ou troisième) main.
Les philosophes, d’après leurs propres doctrines,
auraient dû entrevoir la vraie destinée de l’homme, et la dualité de mécanisme
en mouvement social, comme en mouvement matériel ; ils s’accordent tous à
enseigner qu’il y a unité et analogie dans le système de l’univers. Écoutons
sur cette thèse l’un de nos métaphysiciens célèbres : « L’univers est fait sur
le modèle de l’âme humaine, et l’analogie de chaque partie de l’univers avec
l’ensemble est telle que la même idée se réfléchit constamment du tout dans
chaque partie et de chaque partie dans le tout » SCHELLING 43 .
Bien que cette citation revienne souvent dans ses écrits,
Fourier ne semble pas avoir lu Schelling. Il tirait apparemment son savoir de
la critique d’un « ouvrage de M. Ancillon, de Berlin, qui a commenté et analysé
les systèmes les plus récents, ceux de Kant, de Fichte, de Schelling et autres
controversistes 44 ».
Vouloir retrouver les sources spécifiques des aspects
ésotériques de la doctrine de Fourier relève en général de l’exercice un peu
vain. Autant que l’on puisse en juger, les pensées des autres servaient à
conforter plutôt qu’à inspirer ses propres thèses. Il paraît plus intéressant de
resituer dans leur contexte
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