Fourier
permission de faire en
route une halte de quelques jours à Paris, où il logerait chez son beau-frère
Antide de Rubat et son ami proche, Anthelme Brillat-Savarin *.
* Le célèbre Brillat-Savarin, le futur auteur de La
Physiologie du goût (1755-1826). Lorsque Fourier fait sa connaissance, il est
député du tiers état à la Constituante pour le Bugey et Valromey et est à
l’époque plus connu comme avocat et homme politique libéral que comme écrivain
et gourmet.
Quel jeune homme venant de sa province n’aurait pas été
impressionné en découvrant la capitale en cette fin de l’année 1789 ? Fourier
ne fait pas exception. Il ne semble pas avoir marqué d’intérêt particulier pour
l’agitation politique qui y règne, mais il est enchanté par les boulevards et
les maisons, et surtout par le Palais Royal, qui, avec ses passages qu’on venait
de terminer, ses cafés, ses boutiques, ses bateleurs et ses femmes de petite
vertu, est devenu dans les années d’avant la Révolution un haut lieu
touristique de la capitale. Dans une lettre à sa mère, Fourier décrit ses
premières impressions :
Vous me demandez si j’ai trouvé Paris à mon goût ? Sans
doute ; c’est magnifique, et moi, qui ne m’étonne pas aisément, j’ai été
émerveillé de voir le Palais-Royal. La première fois qu’on le voit, on croit
entrer dans un palais de fée. C’est là qu’on trouve tout ce qu’on peut désirer,
spectacles, bâtiments magnifiques, promenades, modes, enfin tout ce qu’on peut
désirer. Quand vous aurez vu cela, vous ne penserez guère au palais des Etats.
Et les boulevards où l’on voit des grottes de rochers, de petites maisons toutes
plus jolies les unes que les autres ; ajoutez à tout cela les bâtiments
superbes, les Tuileries, le Louvre, les quais, les églises. On peut dire que
c’est le pays le plus agréable qu’il y ait ; mais il faut y avoir sa voiture,
autrement on s’y crotte bien et on s’y fatigue bien : pour moi qui suis bon
marcheur, je n’en ai pas besoin 55 .
Fourier fut si fasciné par Paris que, des années plus tard, il
évoque encore cette visite comme la source où il a, dit-il, puisé l’inspiration
pour ses premières spéculations sur l’architecture utopique. « Il y a
trente-trois ans que, parcourant pour la première fois les boulevards de Paris,
leur aspect me suggéra l’idée de l’architecture unitaire, dont j’eus bientôt
déterminé les règles 56 . » Son
séjour à Paris ne devait initialement durer que quelques jours ; en fait, il le
prolonge toute une semaine ; après quoi, Fourier prend à regret le chemin de
Rouen.
Passant en 1788 par Rouen, le voyageur anglais Arthur Young fait
la peinture d’une « grande ville laide, puante, serrée et mal bâtie qui est
remplie de saleté et d’industrie 57 ». Réaction similaire chez Fourier, qui écrit à sa mère qu’aller de la « belle
ville » de Paris à « l’affreux pays » de Rouen était comme « tomber d’un palais
dans une prison ».
Vous me demandez si Rouen est beau : je vous dirai qu’il
est impossible qu’il y ait sur la terre une ville aussi abominable ; ce sont
des maisons de bois d’une laideur dont on n’a pas idée. Elles sont noires et
avancent à chaque étage d’un pied sur la rue. Les baraques de terre de la
Bresse sont mille fois moins laides. [...] Enfin Saint-Rambert est une
magnificence en comparaison 58 .
Quant à l’activité de Rouen, elle est, rapporte Fourier,
considérable, en particulier dans le commerce du drap, mais sa première
impression est qu’il lui serait très difficile de s’établir dans cette ville.
De toute manière, le travail d’un marchand de drap serait « d’une extrême
monotonie » et offrant peu d’occasions de voyager.
Fourier semble avoir passé à Rouen tout l’hiver 1789-1790 ainsi
que le printemps suivant, comme apprenti auprès d’un négociant en tissu du nom
de Cardon. Parmi ses papiers, il y a un fragment jauni de manuscrit qui nous
permet d’entr’apercevoir l’homme qu’il était à l’époque. Il y raconte un
voyage, en mars 1790, dans le Pays de Caux :
Je traversais la campagne au mois de mars au point du jour.
Il soufflait par un vent du nord et très froid. Je rencontrai sur la route deux
petites filles en sabots. La plus grande, qui pouvait avoir six à sept ans,
pleurait amèrement. « Mon enfant », lui dis-je, « pourquoi pleurez-vous et où
allez-vous ? » « Monsieur », me répondit-elle, « ma
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