Fourier
signé de la main de l’auteur
n’avait attiré l’attention de l’éditeur d’un journal satirique libéral. Le 15
novembre 1824, les lecteurs de La Pandore y découvrent un compte rendu du
Mnémonique géographique qui en ridiculise la terminologie outrée, la
nomenclature allégorique, les « octaves redoublées » et les « modes composés ».
Jamais nous n’avons rien vu d’aussi extravagant ou
d’aussi bouffon. [...] Nous ne savons si la nature en formant M. Fourier a
opéré en mode simple ou en mode composé : mais nous le regardons comme le
personnage cumulatif de tous ceux qui ont écrit des absurdités 26 .
Fourier réplique immédiatement : le Mnémonique géographique est
« une affaire particulière », qui « ne concerne pas les journaux ». Quant à
lui, il est « associé en bêtise avec les sottes gens Newton et Kepler 27 ». Mais cette réponse ne sera jamais
publiée et l’affaire en restera là.
III
Quels que soient les espoirs qu’ait nourris Fourier à l’égard du
Mnémonique géographique, une chose est sûre : l’ouvrage n’améliore pas sa
situation financière, laquelle n’est pas rose à la fin de 1824. Les quelques
commissions obtenues grâce à l’appui de ses amis ne suffisent pas à cacher un
avenir plutôt sombre. Finalement, au début de l’année 1825, Fourier, devant sa
situation désespérée, se prépare à retourner à Lyon, où il est plus connu et où
l’industrie de la soie prospère grâce aux nouveaux marchés d’Amérique du Sud.
Il se renseigne auprès de Bousquet, qui promet de l’aider à trouver un travail
stable. Alors, rassemblant ses manuscrits, Fourier quitte l’hôtel Saint-Roch,
où il est resté deux ans, et arrive à Lyon le 1er avril 1825. Trois semaines
plus tard, il commence à travailler comme caissier pour la Maison Bousquet père
et fils, commissionnaires en marchandises, au 18, port Saint-Clair, pour un
salaire annuel de mille deux cents francs : « une petite affaire sûre qui me
donne peu d’embarras et chez de bonnes gens », écrit-il à Muiron 28 .
Pendant tout l’été 1825, Fourier reste derrière son comptoir à
la Maison Bousquet, tient les comptes et s’occupe d’une bonne partie de la
correspondance métropolitaine de la maison 29 .
Le soir, il travaille à son Abrégé, qui est encore loin d’être achevé : le
petit pamphlet, « à peine égal au Sommaire », qu’il se proposait de rédiger en
quelques semaines s’est peu à peu mué en un traité en trente-six parties. En
arrivant à Lyon, Fourier a prévenu Muiron qu’il a « mis en bon ordre 14 des 36
morceaux ». Mais à la fin de l’été, il n’en est toujours qu’à la moitié.
Les nouvelles des difficultés répétées de Fourier affligent ses
disciples qui attendent avec impatience de pouvoir mettre le nouvel ouvrage
sous presse. Just Muiron n’est toujours pas en mesure de lui offrir de soutien
autre que moral. Mais certains de ses autres admirateurs, plus fortunés,
exhortent Fourier à abandonner son travail pour venir terminer son livre chez
eux. Le Dijonnais Gabet lui lance un appel vibrant, sur un ton auquel Fourier
n’est pas habitué, même de la part de Just Muiron.
Je gémis des entraves qui vous retiennent. Renoncez à
vos occupations mercantiles, puisqu’elles ne peuvent vous conduire à la fortune
et au repos ; venez chez moi recevoir de l’amitié, de l’admiration, pour vos
talents le minimum. [...] Ici, dans une retraite tranquille, vous livrerez tout
entier vos pensées à préparer le bonheur du genre humain. Si le succès couronne
votre entreprise, si la gloire qui vous attend doit être suivie d’une
récompense pécuniaire, vous me rendrez mes avances. Si elle est stérile pour
vous sous le rapport d’intérêt, elle se réfléchira sur moi et me payera
compliment, car j’aurai la satisfaction de me dire, « et moi aussi j’ai servi
l’humanité en favorisant le travail du nouvel Astrée qui est venu ramener l’âge
d’or sur la terre 30 ».
Désiré-Adrien Gréa ne sait faire preuve d’une semblable
éloquence ni ferveur, mais il supplie lui aussi Fourier de venir passer l’été
dans sa famille. Riche propriétaire d’un superbe domaine dans les contreforts
du Jura, il offre à Fourier le lieu idéal pour terminer son livre.
Fourier se fait tirer l’oreille. Soucieux de préserver son
indépendance, ce célibataire endurci n’envisage pas de gaieté de cœur qu’on lui
fasse la « charité » ou
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