Fourier
des
républiques fantômes ; on exporte à Rio de Janeiro des patins à glace et des
bassinoires, et même les produits plus utiles, comme les textiles, dépassent
largement en quantité les capacités du marché. L’industrie française du coton,
en pleine expansion, subit très durement le contrecoup de cette surproduction
et les prix du coton, démultipliés par les spéculateurs en 1826, chutent
l’année suivante ; les banques font faillite les unes après les autres et la
crise culmine en une dépression internationale qui durera trois ou quatre ans 34 .
Il s’agit là d’un nouveau type de crise, tout à fait différent
de l’habituelle combinaison inflation-pénurie qui caractérise les années de
mauvaises récoltes. Bien qu’elle ait eu des causes et des effets multiples,
elle présente beaucoup des signes distinctifs des crises internationales de
surproduction qui n’affecteront la vie économique qu’à partir de la seconde
moitié du XIXe siècle. Il n’existe pas encore de terminologie appropriée pour
la décrire. Fourier forge la sienne : c’est une crise de « refoulement
pléthorique ».
Le refoulement est un effet périodique de l’aveugle
cupidité des marchands qui, lorsqu’un débouché leur est ouvert, y envoient
d’abord quatre fois plus de denrées que n’en comporte la consommation. [...]
C’est ce qu’ont fait en 1825 nos marchands de culottes et ceux d’Angleterre ;
ils ont encombré l’Amérique de leurs drogues, à tel point qu’elle en avait pour
une consommation de 3 ou 4 ans : il en est résulté mévente, stagnation,
avilissement des étoffes, et banqueroute des vendeurs, effet nécessaire de
cette pléthore toujours causée par les imprudences du commerce, qui se fait
illusion sur les doses de consommation possible. Comment une cohue de vendeurs
jaloux, aveuglés par l’avidité, pourrait-elle juger des bornes à établir en
exportation 35 ?
Peut-être est-ce en raison de la crise que la maison Curtis and
Lamb doit fermer sa succursale parisienne en 1827. Les employeurs de Fourier
l’en avertissent trois mois à l’avance et lui proposent un poste au Havre. Mais
son livre est en bonne voie et il rechigne à quitter la capitale : il décline
donc leur offre 36 et se retrouve à
nouveau sans emploi à partir du 16 octobre 1827. Vers la fin de l’année,
certaines de ses connaissances en Franche-Comté proposent à Fourier de les
aider à établir à Paris un point de vente pour les vins du Jura. L’idée est
séduisante : fin connaisseur des vins de son pays, Fourier se plaint souvent de
ce que les négociants parisiens coupent ou frelatent leur vin. Finalement, il
refuse afin de pouvoir se consacrer à son livre 37 .
Bien que Fourier continue de temps à autre à prendre une
commission comme courtier marron, il n’occupera plus jamais un poste à temps
plein. Ses finances sont loin d’être assurées, mais c’est un homme de peu de
besoins et, durant les dix dernières années de sa vie, il se contentera de sa
modeste rente, d’occasionnelles commissions, et de l’aide que lui offriront ses
disciples.
IV
La résiliation de son contrat avec Curtis and Lamb n’apporte
guère de changements dans la vie de Fourier. De la fin 1825 au printemps 1832,
si l’on excepte un séjour prolongé à Besançon, il habitera un meublé au 45, rue
de Richelieu. Durant toute cette période, sa base restera le Sentier, le cœur
du Paris commercial, où il croise tous les jours les commis, employés, gérants,
coulissiers et petits fonctionnaires du quartier. Par beaucoup d’aspects
extérieurs, sa vie quotidienne rappelle celle d’un commis de bureau parisien à
la retraite. Il déjeune dans les petits restaurants et les tables d’hôte du
Sentier, discute des nouvelles du jour et des dernières cotations en Bourse
avec ses voisins de table. Parfois, le dimanche, il se lève tôt, sort de Paris
à pied pour aller passer la journée chez des cousins de Saint-Mandé. Le soir, il
s’offre de temps en temps une visite aux jardins de Tivoli, où il contemple
feux d’artifice, danseurs et acrobates, sans toutefois perdre l’occasion de
noter que ces divertissements sont « la pauvreté incarnée », en comparaison des
« délices composés » qu’offrirait l’Harmonie 38 .
La plupart du temps, il se distrait, plus prosaïquement, d’une demi-tasse de
café après le dîner ou d’une partie de billard au bistro du coin. « Il n’y a
rien de nouveau en ce lieu.
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