Fourier
les progrès
sont lents : à la mi-août, il n’en est toujours qu’à la moitié. En juin 1826,
il pense être sur le point d’achever : il ne lui reste plus qu’à conclure la
dernière section et à rédiger un ou deux chapitres sur les maux de la
civilisation contemporaine pour remplacer une section sur les « approximations
sociétaires », dont il a décidé qu’il valait mieux la supprimer parce qu’elle
est « trop favorable aux plagiaires ». Quinze jours plus tard, il parle déjà de
nouvelles additions :
Quoique j’aie conservé exactement le plan de
distribution que vous avez vu à Rotalier pour mon Abrégé, j’y ai fait de
grandes modifications aux cinq derniers chapitres où je m’attacherai à donner
une analyse fort détaillée de la Civilisation, de ses caractères successifs au
nombre de 36, variables de phase en phase ; de ses caractères permanents dont
je porte le tableau à 144 13 .
Toujours soucieux de systématiser sa doctrine, Fourier décide de
transformer ces chapitres critiques en une « petite grammaire de la
civilisation », qui permettrait à ses lecteurs de reconnaître « les éléments,
les ressorts, la marche et le but » de leur société afin qu’ils puissent
comprendre « qu’il nous faut sortir de la civilisation et non pas la
perfectionner 14 ».
La rédaction de cette « petite grammaire » prend six mois.
Encore Fourier ne s’en tient-il pas là : il lui faut porter le coup de grâce,
sous forme d’une préface qui résume les arguments principaux de sa théorie et
dénonce une fois pour toutes l’inconséquence des philosophes civilisés et le «
cercle vicieux de l’industrie civilisée ». Cette préface, commencée à la fin de
l’année 1826, lui donnera plus de fil à retordre que tous les autres chapitres
réunis : il écrit, rature, reprend des douzaines de brouillons, et c’est
uniquement en février 1828 qu’il peut donner à Muiron l’assurance d’un point
final. Fourier a toujours eu du mal à conclure, mais à cela s’ajoute qu’il
s’est engagé depuis 1819 à « démonter » ou à « émasculer » sa théorie et qu’il
ne parvient pas à se satisfaire du résultat : tout résumé ou toute
reformulation simplifiée de l’essentiel lui paraissent insuffisants. Il s’est
donc acharné pendant plus d’un an sur une préface dont la dernière version ne
dépasse pas cinquante feuillets 15 .
En juillet 1827, alors que Fourier peine encore sur sa préface,
Just Muiron et Adrien Gréa viennent passer quelques jours à Paris. Muiron
espère y faire soigner sa surdité ; mais après diverses consultations avec le
célèbre docteur Koreff, deux hypnotiseurs et même un « oreilliste », il
comprend qu’elle est incurable. L’expédition leur a tout de même donné
l’occasion d’envisager avec Fourier la publication de son livre : cette fois,
ils sont tous deux autorisés à consulter le manuscrit et parviennent à faire
accepter leurs offres d’aide financière.
Il accepte avec non moins de noblesse que de plaisir, [écrit
Muiron à Clarisse Vigoureux.] Définitivement son Abrégé est réduit à 300 pages
environ : il m’en confie les cahiers : Gréa en a lu avec moi plusieurs
chapitres, dont il est fort content, chose qu’il était difficile d’obtenir de
lui. Les dispositions de Gréa sont meilleures que jamais 16 .
Le côté financier assuré, reste à trouver un éditeur. Sachant
d’expérience qu’il vaut mieux être publié à Paris, Fourier entame dès le début
de 1828 une tournée des maisons d’édition de la capitale. Mais partout, il se
heurte au même refus : il n’a pas de nom. « Il n’est rien de plus difficile,
écrit-il à Muiron, que de trouver ici un libraire, quand on n’est pas étayé
d’un nom en crédit. On voit dans leurs réponses que le sujet n’est rien pour
eux ; c’est l’homme qu’ils considèrent. Si Chateaubriand imprimait que 2 et 2
font 5, tout libraire voudrait être son éditeur 17 .
»
Après avoir vainement frappé à toutes les portes, il accepte à
contre-cœur de tenter sa chance à Besançon comme l’en conjure Muiron. Pour lui,
la Franche-Comté est toujours la « Béotie de la France » et il ne croit guère
aux dires de son disciple sur l’intérêt grandissant des Bisontins pour sa
pensée : « Malgré ce que vous me dîtes sur un changement de l’opinion de
quelques Bisontins à mon égard », lui écrit-il fin juin, « je ne crois pas du
tout à leur bienveillance
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