Fourier
»
II
Le Nouveau Monde industriel, qui sort enfin des presses de la
Maison Gauthier en mars 1829, est considéré comme l’exposé le plus bref et le
plus méthodique de la doctrine. Moins touffu que les Quatre Mouvements, moins
épais que le Traité de 1822, il apparaît conforme aux vœux de Fourier : un
résumé relativement clair de la doctrine, centré sur l’organisation d’une
communauté d’essai. La préface tant remaniée est essentiellement consacrée,
dans sa version définitive, à une comparaison entre « l’énormité du produit
sociétaire » et le « cercle vicieux de l’industrie civilisée ». La première
section consiste en une présentation « élémentaire » de la théorie de
l’attraction passionnée ; dans la deuxième, qui traite des « dispositions de la
Phalange d’essai », Fourier s’efforce d’être aussi précis que possible, étayant
son propos de multiples cartes, diagrammes, devis et... conseils sur l’élevage.
Les troisième, quatrième et cinquième sections abordent respectivement
l’éducation et la gastronomie, la production et la distribution, et « l’équilibre
des passions ». Les deux dernières, enfin, sont vouées à la critique de la
civilisation, dans le contexte plus général de la théorie historique et d’une
réflexion sur les parties « transcendantes » de la doctrine, telles que
l’analogie universelle ou la cosmogonie. L’ouvrage se clôt sur une « Postface
sur la cataracte intellectuelle », où Fourier en appelle aux bonnes volontés et
tente de régler ses comptes avec les philosophes en général et Robert Owen en
particulier.
Les disciples de Fourier, dans la seconde édition, qualifieront
Le Nouveau Monde industriel de résumé « très méthodique, très logique, d’une
clarté admirable ». Selon eux, la Théorie des quatre mouvements, ouvrage
provocateur et difficile, ne saurait être appréciée que des « hommes faits, [des]
esprits mûrs », tandis que la doctrine est exposée de façon suffisamment claire
dans Le Nouveau Monde industriel pour qu’après « suppression » de quelques
passages trop « crus » ils pensent pouvoir en faire usage dans leur œuvre de
propagation 24 .
Fourier lui-même est assez partagé quant à son livre. En 1831,
il confie à Considerant qu’il le trouve « bien moins substantiel » que le
Traité de 1822, mais « plus succinct » et « très convenable aux commençants 25 ». Ses réserves sont inscrites dans le
texte lui-même, où il ne cesse de rappeler à ses lecteurs sa résignation à ne
pas les choquer par trop de précisions sur certains aspects étranges de la
doctrine, ou de ne pas les désorienter par trop de nuances. Devançant les
critiques, il explique que « le calcul des passions est une science très-vaste
; ceux qui la veulent en abrégé doivent s’attendre à des développements
insuffisants sur divers points ». En faisant allusion à certaines complexités
sur lesquelles il ne peut s’étendre, il espère « faire entrevoir [...] combien
la théorie a été restreinte et mutilée par les limites d’un abrégé 26 », et promet de donner dans d’autres
volumes de plus amples éclaircissements.
Ces réserves, excuses, promesses dont Fourier émaille son texte
trahissent un certain regret d’avoir abandonné son projet initial : la
publication d’un traité de grande envergure présentant la théorie de
l’attraction passionnée comme la « clé » d’un système universel qui
expliquerait « tous les mystères de la nature ». Mais Le Nouveau Monde industriel
a pour fonction première de susciter des vocations pour l’organisation d’une
communauté expérimentale et de servir de guide à tout fondateur prêt à financer
l’affaire. C’est dans ce but que Fourier s’efforce de rester terre à terre.
Cet intérêt pour ce qu’il appelle tout simplement la «
réalisation » amène Fourier à mieux définir ses positions par rapport aux
athéistes, aux révolutionnaires et autres fauteurs de troubles compromettants :
il assure que ses propres idées sur l’association sont sans lien aucun avec les
« diatribes [d’Owen] contre la propriété, la religion et le mariage », consacre
vingt-quatre pages à un remarquable exercice d’exégèse tendant à démontrer la
concordance de sa théorie avec le Nouveau Testament 27 , et affirme à plusieurs reprises que, contrairement aux
projets des révolutionnaires sanguinaires, son système d’association pourra
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