Fourier
[lui]
rendent certains amis malencontreux qui [l’] assassinent en croyant [le] faire
valoir ». Quelques semaines plus tard, un article d’Aynard de La Tour du Pin
sur les saint-simoniens provoque une réaction plus brève, mais non moins
violente, qui prend la forme d’un article « sur un éloge de la théocratie et de
la main-morte ». Début juillet, un nouvel article de Fourier fustige deux «
disciples aventureux » (Amédée Paget et Giuseppe Bucellati) dont les chroniques
sont « parsemées d’erreurs » et « tout imbues de formules saint-simoniennes »,
et qui « ne devront pas s’étonner que le chef de la doctrine use de son droit
de signaler les hérésies ; ce sera une glose instructive pour des adeptes moins
exercés 48 ».
Officiellement, les disciples optent pour la modération.
Lorsque, par exemple, ils publient la réplique cinglante de Fourier aux
incartades phrénologiques de Pellarin, ils se contentent d’un entrefilet
conciliant :
M. Fourier a jugé à propos de protester contre les
articles publiés dans ce journal sur la doctrine phrénologique de Gall. Il est
fort bien qu’il use, comme il l’entend, du droit de distinguer ses vues de
toutes les autres et de manifester les différences qui existent entre lui,
l'inventeur du procédé sociétaire, et ceux qui s’efforcent de faire entrer
cette grande découverte dans le domaine de l’humanité.
Ils reconnaissent qu’il en va de leur « devoir religieux » de
publier « tel quel » tout ce qu’écrit Fourier, mais affirment également leur
volonté d’accomplir un autre devoir, celui « d’intermédiaires » entre Fourier
et ses contemporains 49 .
En privé, les disciples prennent moins de gants. Ils sont las
des critiques incessantes de Fourier. En juin 1833, Abel Transon et Victor
Considerant cessent tout simplement d’écrire pour Le Phalanstère. Jules
Lechevalier persiste quelque temps, mais ses relations avec Fourier sont de
plus en plus tendues. En juillet, Bucellati, après avoir essuyé les foudres de
Fourier, lui écrit pour protester contre le « ridicule » dont il a été couvert
: « Je ne crois pas, ajoute-t-il, que la nature n’ait donné qu’à vous seul le
droit d’investiguer ses lois 50 . »
Au même moment, un lecteur qui préfère garder l’anonymat écrit longuement à
Fourier pour lui reprocher ses articles abscons et la façon dont il traite ses
propres disciples :
Peut-être apprendrez-vous avec étonnement qu’un des
écrivains qui se font le mieux comprendre du public (je parle ici des lecteurs
non initiés ou peu initiés) c’est ce même M. A. Paget auquel vous avez cru
devoir, dans l’intérêt de l’orthodoxie du journal, adresser des reproches en
public, reproches qui, je dois le dire, ont paru un peu durs et qui ont produit
un mauvais effet 51 .
Quelques semaines plus tard, dans une lettre à Clarisse
Vigoureux, Victor Considerant donne voix au sentiment de beaucoup d’autres
disciples en prônant la suspension pure et simple du journal : « Il est de la
plus haute importance que Fourier cesse d’avoir la faculté de faire des
articles par lesquels il se tue et sa théorie aux yeux du public 52 . »
En juillet 1833, le bel enthousiasme des débuts est bel et bien
mort. Les finances s’étiolent. Le journal n’a jamais été rentable. En outre, le
projet de Phalange d’essai à Condé-sur-Vesgre, raison d’être du journal, est de
plus en plus compromis. Les disciples sont presque unanimement convaincus que
Le Phalanstère n’atteindra pas le grand public tant que Fourier pourra
continuer à y écrire ce que bon lui semble. La proposition de Considerant
recueille donc une majorité d’avis favorables 53 .
Mais après avoir débattu la question, les disciples décident simplement de
réduire la taille du journal.
C’est Jules Lechevalier qui annonce la nouvelle aux lecteurs le
19 juillet, en précisant que ses propres articles et certains autres paraîtront
désormais dans des journaux à plus fort tirage que Le Phalanstère 54 . Il rend cependant hommage à « cette
petite feuille que nous avons fondée, seuls, sans grand secours, avec
l’appareil le plus simple » ; il promet que Le Phalanstère continuera de
paraître et qu’il « sera toujours [...] une sorte de berceau vénéré, le
sanctuaire où tout ce qui aura rapport à la science et à la théorie sera
soigneusement élaboré et proposé 55 ».
Ces belles paroles constituent l’avant-dernière contribution
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