Fourier

de Lechevalier au
Phalanstère. La plupart des autres collaborateurs s’étant déjà éclipsés.
L’énergie de Considerant et Transon étant occupée à d’autres tâches, la responsabilité
du journal ne repose plus désormais que sur deux personnes : Pellarin et
Fourier.
    Entre le 19 juillet et le 16 août, les deux hommes parviennent
tant bien que mal à faire paraître quatre maigres numéros. Puis l’hebdomadaire
se transforme en mensuel et survit encore six mois. Mais le tirage est en chute
libre et les articles, aux titres toujours aguicheurs (« Les poltrons
scientifiques », « Mystification des chantres du progrès », « Spéculation
commerciale à bénéfice net de 300 pour-cent au bout de six mois »), sont tous
signés de Fourier. Abandonné des disciples, Le Phalanstère cesse d’être
l’organe du mouvement.

IV
    Dans son dernier article pour
Le Phalanstère,
Jules Lechevalier
tente de justifier la réduction et la mensualisation du journal : ces mesures
ne sont pas seulement dictées par le manque de moyens ou la nécessité de
consacrer plus de temps à l’entreprise de Condé-sur-Vesgre. Mais « le premier
effet que devait produire [le journal] est accompli » : le journal a permis à «
la société » d’« avoir vent » des doctrines de Fourier auxquelles les disciples
doivent à présent s’efforcer de donner « une publicité plus large » en écrivant
pour des journaux plus importants. « Les travaux du Phalanstère, [...]
n’eussent-ils eu pour résultat que de nous conduire à ce point, [ils] auraient
déjà beaucoup servi la cause de l’association 56 .
» Beaucoup de collaborateurs du
Phalanstère
ont tout de même dû trouver la
pilule amère. Les proches de Lechevalier savent bien que son désir de publier
dans d’autres journaux est surtout nourri d’ambition personnelle et d’un
désintérêt croissant pour le fouriérisme. La plupart des disciples ne sont que
trop conscients des défauts du journal et ils ne sauraient croire que
Le
Phalanstère
ait « beaucoup servi la cause de l’association » : ils ont au
contraire, pour la majorité d’entre eux, le sentiment de n’avoir rien accompli,
si ce n’est leur devoir envers Fourier. Comme l’écrit Considerant en octobre
1833,
Le Phalanstère
leur a permis d’offrir à Fourier « cette satisfaction
que 34 ans de tourment lui faisaient si ardemment désirer, de pouvoir enfin
faire entendre sa voix au public ». En retour, ils ont appris que Fourier est
incapable de se faire comprendre du public, tout comme de travailler en équipe 57 .
    Malgré cela, il semble que le verdict positif de Lechevalier
soit en partie justifié. Si Le Phalanstère n’a jamais « conquis Paris » comme
le souhaitait Fourier, il a tout de même joué un rôle non négligeable dans
l’œuvre de vulgarisation entamée en 1831. Les conférences et articles de Lechevalier
et Transon avaient ouvert la voie, mais leur influence se limitait surtout aux
Parisiens et aux saint-simoniens. Le Phalanstère répand les idées de Fourier en
province. Avant sa parution, la presse de Besançon était quasiment la seule à
parler de Fourier et de fouriérisme en province. En quelques mois, la situation
a changé du tout au tout : « Nous avons beaucoup à nous louer de la presse
départementale », remarquent les éditeurs en août 1832, « spontanément elle a
cherché à donner de la publicité à nos vues et à exposer elle-même nos idées 58 ». Sur ce point, ils n’exagèrent pas :
l’année de baptême du Phalanstère est celle d’une extraordinaire prolifération
d’articles sur Fourier dans la presse provinciale, depuis le Sanglier des
Ardennes jusqu’au Mémorial des Pyrénées, depuis l’Abeille picarde jusqu’au
Nouveau Contribuable de la Haute Vienne. Beaucoup de ces articles sont
directement tirés du Phalanstère ; c’est ainsi que Pellarin peut dire à propos
de l’une de ses propres contributions sur l’agriculture bretonne qu’elle a «
véritablement [fait] son tour de France 59 ».
    Les éditeurs du Phalanstère attribuent cet accueil très
favorable de la province au fait qu’à la différence des Parisiens, facilement
distraits par les intrigues politiques quotidiennes, ses lecteurs sont à même
de prendre du recul et de comprendre que la politique politicienne n’est que
futilité en regard de la grande question sociale : comment susciter «
l’amélioration physique du sort des masses 60 ?»
Cela est sans doute vrai