Fourier
principale victime est Victor Considerant, qui, à la fin du mois, s’épanche
avec amertume dans une lettre à Clarisse Vigoureux :
Vous me parlez de divisions entre nous. Eh ! Mon Dieu,
il n’y en a pas eu depuis votre départ [...] Quant à M. Fourier, nous le
laissons bien tranquille [...] Il m’a fait deux scènes seulement ; dans la
première je me suis conduit si doucereusement que le doux Transon qui était
présent n’a pas pu comprendre comment je n’avais pas envoyé promener cet homme
âcre et injuste. La seconde a été motivée par cela seul que je lui disais avec
d’autres personnes que ce ne serait pas digne de lui d’écrire comme il disait
vouloir le faire, des articles amusants dans le journal. J’ai évité avec le
plus grand soin d’avoir des contestations avec lui, je lui parle fort rarement
et toujours avec la plus grande douceur. S’il dit le contraire, il ment, voilà
tout.
Considerant continue en se déclarant « très content » que
Fourier l’ait pris en grippe, car Fourier est « le type même d’injustice, de
jalousie, [et] d’ingratitude ». N’être pas aimé de lui est « un caractère
auquel on peut reconnaître que l’on a aidé au mouvement phalanstérien 40 ».
La version de Fourier sur cette affaire est malheureusement
perdue. On peut cependant s’en faire une idée d’après la réponse que lui fait
Clarisse Vigoureux au début du mois de décembre :
Pourquoi donc semblez-vous triste et mécontent dans ce
moment où il y a de si belles espérances, où depuis un an les choses ont marché
mieux que l’on ne pouvait attendre ? Vous paraissez mécontent de tous vos
disciples, vous vous plaignez de Victor... Ce pauvre Victor, je vous ai vu une
fois si injuste envers lui que j’aime à me dire qu’il en est encore de même
aujourd’hui... Mais ce qui m’afflige le plus c’est le mal et la tristesse que
vous ressentez. Cela me pèse sur le cœur et presque sur la conscience comme si
nous étions impérieusement chargés de vous rendre heureux jusqu’à ce que le
genre humain vous ait reconnu pour son maître...
Monsieur, ne vous exercez pas à vous aigrir, mais
essayez bien de nous croire quand nous vous disons que tel ou tel moyen
convient avec les civilisés. Encore une fois vous êtes trop haut pour qu’ils
puissent en tout vous comprendre, et vous ne pouvez vous mettre à leur niveau
sans perdre de la dignité nécessaire au succès. C’est pourquoi les
intermédiaires vous ont servi depuis que vous en avez. Mais au nom du ciel,
n’allez pas vous égarer au point de croire que l’on ait la pensée de vous
éloigner ni du journal ni de rien autre. Votre science n’est-elle pas tout ?
D’ailleurs je vous répondrais que vous dites cela depuis le commencement du
journal et qu’en résultat personne n’a écrit autant que vous 41 .
Clarisse Vigoureux est de bonne foi, mais les soupçons de
Fourier ne sont pas tous injustifiés. Beaucoup de ses disciples souhaitent
vivement « le maintenir à l’écart du journal ». Et à l’heure même où Mme
Vigoureux écrit de Besançon, les éditeurs du Phalanstère envisagent, par
quelques modifications statutaires, de réduire le rôle de Fourier au sein du
journal.
III
La fin de l’année 1832 est consacrée à deux nouvelles tâches. Il
s’agit d’une part de choisir un site pour la Phalange d’essai, d’autre part, de
rendre Le Phalanstère moins sectaire et plus accessible au grand public. Nous
reviendrons sur la Phalange d’essai dans le chapitre suivant. Quant aux
changements que les disciples souhaitent apporter au journal, ils font l’objet
d’interminables discussions tout au long du mois de décembre 1832. Bien que
l’on n’en ait pris en notes que certains fragments, un long rapport d’Abel
Transon nous donne une idée des questions débattues 42 . Pour Transon, le principal problème réside dans la
platitude de l’ensemble et dans l’absence de coordination entre les différents
collaborateurs. Trop d’articles se contentent de reformuler la théorie de
Fourier. Or, note-t-il, « notre but doit être de donner au journal [...] le
même rang dans l’opinion que l’ancien Globe ». Il faudrait, à son avis,
beaucoup plus d’articles scientifiques et littéraires, ainsi qu’une volonté
plus affirmée de démontrer la pertinence du système fouriériste lorsqu’il
s’agit de résoudre des problèmes sociaux particuliers. « Au point où nous en
sommes, il faut donner le
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