Fourier
appliqué effectivement tentée du
vivant de Fourier. Il n’est d’ailleurs pas certain qu’il en ait appris le
destin tragique. Les dernières nouvelles qu’il en reçut venaient apparemment de
la lettre de Diamant, datée de juin 1836, dans laquelle celui-ci dénonçait la «
mauvaise réputation » et les dettes du « jacobin » Balaceanu. De toute façon,
Fourier n’en attendait probablement pas grand-chose. Un ou deux ans avant sa
mort, il écrivait : « Beaucoup de gens ont, sans malignité, la manie de
corriger, mutiler, dépecer les inventions ; ils pourraient tenter [une]
fondation bâtarde et autres ambigus, n’en obtenir que peu ou point de succès en
équilibre de passions et conclure de là contre ma théorie. Je désavoue d’avance
toutes ces mutilations ; l’on y manquerait, par préjugés philosophiques, le
parti que je pourrais en tirer si j’en avais la direction 34 .
IV
Malgré les multiples échecs et déceptions des années 1830, la
notoriété de Fourier ne cesse d’augmenter. La revue Le Phalanstère et la
Destinée sociale de Considerant ont contribué à élargir le cercle de ses
disciples et, dès le milieu des années 1830, l’Europe entière est parsemée de
petits groupes fouriéristes 35 . On
publie des vulgarisations de sa théorie à Heidelberg, Augsburg et Gotha en
Allemagne. En Espagne, un officier de marine républicain nommé Joaquin Abreu
commence en 1835 à faire paraître des articles sur Fourier dans les revues de
Cadix et de Madrid 36 . En Italie,
de Milan à Palerme, le fouriérisme suscite déjà un intérêt certain quand, en
1836, la critique de ses idées par le jeune Giuseppe Mazzini donne lieu à une importante
série d’articles dans la presse émigrée 37 .
Même depuis la Russie de Nicolas 1er, les révolutionnaires en herbe que sont
Alexandre Herzen et Nicolas Ogarev suivent avidement les débats qui opposent
fouriéristes et saint-simoniens dans les journaux parisiens, à quelque deux
mille cinq cents kilomètres de chez eux. Bien plus tard, Ogarev évoquera avec
nostalgie l’atmosphère fébrile de l’époque où « nous [...j disciples d’un monde
nouveau, disciples de Fourier et Saint-Simon [...] jurions de consacrer nos
vies entières au peuple et à sa libération 38 ».
Fourier ne connaît pas l’existence de ces « disciples » russes à
l’enthousiasme éclectique. En fait, à l’exception des Roumains, il ne semble
pas très renseigné sur les cercles d’admirateurs qui se forment à l’étranger.
Mais il ne peut pas ne pas se rendre compte de l’intérêt grandissant que
suscitent ses idées dans son propre pays. Les dernières années de sa vie voient
affluer des lettres d’admirateurs venues de la France entière. Certains lui
dédient des poèmes, d’autres se portent volontaires pour aider à Condé,
d’autres encore lui posent des questions de doctrine. Quelques-uns, comme le
docteur Décheneaux, professeur de chimie au collège de Sorèze, effectuent même
le pèlerinage jusqu’à la rue Saint-Pierre-Montmartre pour rencontrer en chair
et en os « l’illustre Révélateur du Monde harmonien 39 ».
Vers le milieu des années 1830, la théorie de Fourier est enfin
entrée dans le domaine public et les véritables adeptes ne sont plus les seuls
à s’y intéresser. La menace d’une violente lutte des classes qui pèse sur les
régions industrielles et urbaines en France et l’importance nouvelle que revêt
la « question sociale » confèrent un intérêt beaucoup plus large aux idées de
Fourier sur le travail, la coopération et l’harmonie sociale. Des articles
favorables à ses idées commencent à paraître dans les journaux à grand tirage
comme La Presse d’Emile Girardin et les revues influentes comme La Revue des
Deux Mondes 40 . Des écrivains
reconnus, en particulier George Sand et Sainte-Beuve, s’intéressent à Fourier ;
Louis Reybaud, de La Revue des Deux Mondes, lui consacre un long article,
sceptique mais tolérant, dans lequel il le range pour la première fois sous
l’étiquette de « socialiste moderne 41 » aux côtés d’Owen et Saint-Simon.
Mais pour la plupart de ses contemporains, Fourier reste avant
tout un objet de curiosité. Si Reybaud expose ses idées avec un détachement
amusé, d’autres écrivains et journalistes plus hostiles vont déterrer les
premières spéculations cosmogoniques de Fourier et jettent en pâture à leurs
lecteurs des histoires d’anti-lions et de copulation
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