Fourier
planétaire. En 1834, par
exemple, le jeune Théophile Gautier ridiculise dans sa truculente préface à
Mademoiselle de Maupin les prophéties de Fourier le « fou », dans lesquelles il
voit le comble d’une foi absurde en le progrès et l’utilité 42 . Les archibras de Fourier et ses mers de
limonade rose ne tardent pas à franchir la Manche : dès 1836, Henry Bulwer se
propose « d’effaroucher le bourgeois » londonien en parlant d’un « sage qui
affirme que la mer est en train de se changer naturellement en limonade ; et
qui prouve que les futures générations humaines se verront pousser un appendice
caudal difficilement compatible avec un haut-de-chausses 43 ». Quelques années plus tard, dans sa
Monographie de la presse parisienne, Balzac divulguera la recette, en
expliquant comment « la deuxième variété des Petits Journalistes, le Blagueur
», peut gagner dix francs par jour en se contentant de broder sur la Théorie
des quatre mouvements.
On fonde La Phalange pour manifester la doctrine de
Fourier, le Blagueur voit dix articles dans cette philosophie, et il commence :
« Saint-Simon avait proposé de faire vingt pauvres avec la fortune d’un riche ;
mais Les Quatre Mouvements de Fourier, ancien correcteur d’épreuves en son
vivant sont une bien autre philosophie sociale : vous allez travailler les bras
croisés, vous n’aurez plus de cors aux pieds, les avoués feront fortune sans
prendre un liard à leurs clients, les gigots iront tout cuits par les rues, les
poulets s’embrocheront d’eux-mêmes. Il vous poussera, vers cinquante ans, une
petite queue de trente-deux pieds que vous manœuvrerez avec élégance et grâce.
La lune fera des petits, les pâtés de foie gras pousseront dans les champs, les
nuées cracheront du vin de Champagne, le dégel sera du punch à la romaine, les
laquais seront rois de France, et les pièces de dix sous vaudront quarante
francs, etc., etc. 44 »
Les caricaturistes n’ont pas encore pris l’habitude, dans les années
trente, d’affubler Fourier et Considerant d’une queue (ou archibras) dans leurs
dessins. Mais les récits des « extravagances » de Fourier sont déjà si répandus
que les enfants qui le croisent dans sa promenade au jardin du Palais-Royal
crient parfois : « Voilà le fou : riez 45 ! »
En fait, la raillerie pas plus que la sympathie ne semblent
toucher Fourier. Il finit par se retirer dans une coquille impénétrable ou
presque. Quand il se montre en public, il garde un silence impassible et ne
laisse rien paraître de ses sentiments. Après avoir consacré une grande partie
de La Fausse Industrie à réfuter les arguments de ses adversaires, il ne semble
pas particulièrement ravi du tour plutôt favorable que prend la critique. Il ne
supporte pas les compliments condescendants de George Sand ; lorsque Louis
Reybaud ose le comparer à Prosper Enfantin et à l’abbé Châtel, tous deux
créateurs d’une nouvelle religion, Fourier note sèchement dans son carnet qu’il
est, comme le Christ, flanqué de « deux larrons 46 ». Quand il apprend, moins d’un an avant de mourir, que le Vatican a mis ses
livres à l’Index, tout comme ceux de Saint-Simon et de l’abbé Lamennais, il
ironise superbement : l’Index, dit-il, est « une arme usée », une « foudre
comique » et le Vatican en use contre un étrange assortiment d’ennemis. « On
dirait que Rome dans sa détresse veut jouer le va-tout. Elle proscrit à la fois
le poète actuel de la Chrétienté [Lamennais] et l’agresseur patent du
catholicisme [Saint-Simon]. Elle me colloque dans ce pêle-mêle d’éléments
hétérogènes[...] Il ne manquait plus à ce coup de boutoir que de proscrire
aussi le chantre du christianisme, Monsieur de Chateaubriand 47 . »
V
Sans jamais cesser de renvoyer la balle à ses détracteurs,
Fourier se détache de plus en plus du mouvement qui s’est constitué autour de
son nom. Il fait savoir qu’il n’est pas plus « fouriériste » que chef de file
du mouvement, et qu’il ne se sent nullement responsable des faits et gestes de
ses disciples. Quand, par exemple, en 1835, Victor Considerant est violemment
pris à partie par deux journaux catholiques à propos d’un de ses discours
fortement teinté d’anticléricalisme, Fourier prend bien soin de se distinguer
de son disciple : « Je ne suis pas responsable de ce que je n’ai pas dit ni
écrit », écrit-il à La Gazette de France. « Beaucoup de gens sont mes disciples
sur un
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