Fourier
d’Isaac Newton en
l’étendant du domaine de la pure curiosité (l’équilibre des corps célestes) à
un domaine de la plus urgente utilité (l’équilibre des passions humaines).
Fourier a aussi découvert une seconde science, qu’il appelle la
science de l’analogie universelle. Les lois de l’attraction passionnée sont, il
en est convaincu, « en total accord » avec les lois de l’attraction physique :
il en conclut que monde extérieur des choses et monde intérieur des passions
constituent un système unifié. Tout événement qui se produit dans une sphère
doit trouver son correspondant dans l’autre. Fourier ajoute :
Je soupçonnai que cette analogie pouvait s’étendre des lois
générales aux lois particulières ; que les attractions et propriétés des
animaux, végétaux et minéraux étaient peut-être coordonnées au même plan que
celles de l’homme et des astres; c’est de quoi je fus convaincu après les
recherches nécessaires 24 .
Fourier se trouve donc désormais embarqué dans l’exploration
d’un « nouveau monde scientifique ». Armé de sa double théorie de l’attraction
passionnée et de l’analogie universelle, il commence « à lire dans le grimoire
de la nature », à déchiffrer son étrange langage, à soulever son « voile réputé
impénétrable ». Il en vient à se voir non seulement comme le successeur de
Newton, mais encore comme le fondateur d’un système universel qui va expliquer
« les plans suivis par Dieu » pour chaque chose, depuis la destinée de l’homme
et l’avenir du système solaire « jusqu’aux développements les plus minutieux de
la matière dans les trois règnes ».
Une certaine obscurité continue d’entourer ces premières
découvertes. Il est clair, par exemple, que Fourier a le sentiment d’avoir une
grande dette à l’égard de Newton. C’est le plus sérieusement du monde qu’il dit
avoir « continué » ou « parachevé » l’œuvre du savant anglais*.
* L’étude des premiers manuscrits de Fourier montre qu’à
l’orée de sa carrière il cherchait de manière très littérale à utiliser des
concepts empruntés à la physique et à l’astronomie dans le développement de ses
théories psychologiques et sociales. Ainsi sa communauté idéale, qu’il appela
plus tard la Phalange, était à l’origine parfois appelée le « tourbillon », et
le nom qu’il donna à ses trois passions distributives (qu’il devait baptiser
plus tard la cabaliste, la papillonne et la composite) les identifiait à
l’origine comme des variétés de mouvement : composition, oscillation et
progression. Voir les notes de Fourier à l’ « Ode sur la découverte des lois
divines » (1803), AN 10AS 23 (16).
Mais on a un certain mal à cerner en quoi exactement consiste
cette dette. Fourier partage, à n’en pas douter, avec beaucoup de penseurs
européens du XVIIIe et du début du XIXe siècle un sentiment d’admiration devant
l’harmonie et la simplicité du principe dont Newton a montré qu’il réglait
l’univers physique. Il n’est pas non plus le seul à penser que la clef de
l’ordonnance des affaires humaines doit se trouver dans la découverte d’un
principe qui serait l’analogue, dans le domaine social ou moral, du principe de
la gravitation universelle dans le domaine physique. Mais, à part le nom qu’il
lui donne et l’hypothèse d’une harmonie préétablie, qu’y a-t-il de
spécifiquement « newtonien » dans la théorie psychologique de Fourier ? Jamais
il ne s’en expliqua 25 .
II
L’extraordinaire voyage intellectuel entrepris par Fourier dans
la seconde moitié de la décennie révolutionnaire soulèverait encore beaucoup de
questions. On manque par exemple de précisions sur l’exacte chronologie de son
évolution. Quant au lien entre les diverses idées de Fourier, il est parfois
obscur jusqu’à défier toute interprétation. Par ailleurs, si sa dette à l’égard
de Newton est aussi superficielle qu’elle en a l’air, on aimerait savoir quels
autres penseurs lui servirent à l’époque de guides intellectuels. L’étude
classique d’Hubert Bourgin sur les sources de Fourier n’apporte guère de
lumières sur cette question 26 . Les
seuls écrits où Bourgin voit des « sources définies et certaines » sont
quelques articles parus dans le journal La Décade philosophique sur les
idées du comte Rumford et de Cadet de Vaux. Rien d’étonnant, affirme Bourgin,
pour un autodidacte sans
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