Fourier
culture comme Fourier. Pour Bourgin, Fourier est bel
et bien le « sergent de boutique illettré » qu’il prétendait être : il ne doit
pas grand-chose aux livres ; ses principales sources sont l’observation et
l’introspection. « Du jour où il quitta le collège de sa ville, écrit Bourgin,
muni de l’instruction médiocre et superficielle qu’on donnait alors, Fourier
cessa d’étudier. Ses occupations ne le lui permettaient guère ; il n’en avait
ni le loisir ni les moyens. Sa doctrine se constitua presque tout entière dans
son esprit pendant le temps où, commis ou voyageur de commerce, il n’avait
d’autre instrument de travail que lui-même ; et quand elle fut achevée,
satisfaisante pour son jugement, il n’avait plus rien à chercher dans les
livres 28 . »
Vu sous un certain angle, on peut souscrire à la conclusion de
Bourgin : la principale source de Fourier fut bien sa réflexion sur sa propre
expérience et, une fois le plan général de sa théorie esquissé, il ne consulte
plus guère les écrits des autres que pour y chercher confirmation de ses
propres idées. Où Bourgin, en revanche, fourvoie totalement son lecteur, c’est
lorsqu’il prétend que les études de Fourier (et du même coup, semble-t-il, ses
lectures) se terminent avec sa sortie du collège de Besançon. En réalité, des
indices multiples prouvent que Fourier était un grand dévoreur de livres et,
s’il a cessé un jour de lire, ce n’est pas en 1787, mais plus de vingt ans plus
tard, en 1808, avec l’échec de son premier ouvrage publié. Après cette date,
c’est vrai, Fourier s’est comme replié sur son monde privé. Les longs livres et
traités de métaphysique « l’ennuient » ; il est de plus en plus sélectif dans
ses lectures ; il se concentre sur les journaux, comme Le Journal des débats ou
La Gazette de France, et des revues comme La Revue des Deux Mondes ou La Revue
encyclopédique, qu’il parcourt à la recherche d’un détail ou d’une anecdote
susceptibles d’apporter de l’eau au moulin de sa théorie.
Fourier, de toute manière, n’a jamais été un lecteur
systématique. C’est plutôt une sorte de « bricoleur » intellectuel, désireux de
s’instruire sur toute une gamme de questions qui l’intéressent et qu’il lui
faut maîtriser pour élaborer sa théorie. Il a, semble-t-il, beaucoup lu à seule
fin de s’informer et on le voit citer des encyclopédies, des traités savants,
des récits de voyage, beaucoup d’atlas. Dans son exposé sur les passions, par
exemple, il s’inspire de l’article « Passions » de l'Encyclopédie de Diderot,
mais aussi de la très populaire Encyclopédie méthodique de Panckoucke. En
matière de sexualité même, il va chercher un complément d’information à ce
qu’il connaît par expérience personnelle ou par des conversations, dans des
traités comme L’Onanisme de Tissot ou le De matrimonio du jésuite du XVIe
siècle Thomas Sanchez 29 .
Fourier tient particulièrement à approfondir ses connaissances
dans ce qu’il nomme les sciences « fixes » : chimie, physique, biologie,
astronomie. Son approche de ces sciences est naturellement assez personnelle.
Pas question pour lui, par exemple, de passer pour un spécialiste d’astronomie
: sa spécialité est « l’astrosophie », « la théorie qui rallie la science
astronomique à la science des passions humaines ». Qu’il tienne toutefois à
exploiter les sciences naturelles afin d’élaborer sa propre théorie, on en
trouve la preuve dans un cahier de notes de lecture intitulé « Cosmologie,
Physique etc. » qui date des années 1806 à 1809. Ce carnet contient des
extraits et résumés d’articles paru sur Buffon, Guyton de Morveau, Fourcroy,
l’abbé Rosier. On y trouve également de longs extraits de divers articles sur
l’œuvre de Hyacinthe Azaïs et sa promesse « séduisante » d’« expliquer par un seul
fait [...] l’universalité des phénomènes physiques et chimiques ». Il y a enfin
des listes de lectures, où figurent des livres sur la chimie de Fourcroy et
Lavoisier, ainsi qu’un article (indiqué avec sa cote à la Bibliothèque
nationale) du Journal de physique de septembre 1781 sur « la cause physique de
la couleur des différents habitants de la terre 30 ». Tout cela donne à penser que Fourier continue, encore très tard sous
l’Empire, à faire des lectures dans le domaine des sciences comme à utiliser la
Bibliothèque nationale à l’occasion
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