Fourier
de ses voyages d’affaires à Paris.
Quelles œuvres philosophiques et littéraires ont eu une
importance particulière pour Fourier ? Parmi les grandes figures du XVIIIe
siècle, c’est Rousseau (et cela ne constitue guère une surprise) que Fourier
semble le mieux connaître. Les références abondent, variées, détaillées, à
l'Emile, aux Confessions, à La Nouvelle Héloïse, plus d’ailleurs qu’aux écrits
politiques : Fourier a manifestement trouvé en Rousseau quelqu’un avec qui dialoguer
alors que lui-même s’efforce de définir un ordre social adapté aux véritables
besoins de l’homme 31 . Par
ailleurs, Fourier a quelques connaissances, sans doute de seconde main, sur le
travail des physiocrates. Les Etudes de la nature, de Bernardin de
Saint-Pierre, l’intriguent. Dans son exposé sur les sociétés barbares et
patriarcales, il a fréquemment recours à l'Histoire des deux Indes de l’abbé
Raynal. Il semble en revanche assez peu versé dans la littérature de la frange
radicale des Lumières et on ne trouve guère chez lui de références à Helvétius
ou à d’Holbach. Les allusions qu’il peut faire à Voltaire ou Diderot restent
relativement superficielles. Il ne montre guère d’intérêt non plus pour les
grands textes de la tradition utopique : aucune mention dans ses papiers du
Code de la nature de Morelly, de L'An 2440 de Mercier ou des écrits utopistes
de Restif de la Bretonne. Il connaît en revanche le Télémaque de Fénelon et les
Entretiens de Phocion de Mably. Les références, toutefois, qu’il fait à Mably
se limitent à quelques commentaires peu amènes sur les choux, le gruau et les
navets que sert à table la frugale épouse de Phocion. Quant à Fénelon, Fourier
voit ses « sottises dogmatiques » comme l’exemple même des « cacographies
sociales » que, dans la société idéale, on pourra publier pour les amateurs d’«
archéologie sociale burlesque 32 ».
A l’exception de Rousseau, le jeune Fourier n’a donc lu en
profondeur aucun des grands écrivains des Lumières. Toute sa vie, en revanche,
il puisera dans un fonds relativement solide chez lui : les écrivains de
l’Antiquité classique et le classicisme français du XVIIe siècle. Curieusement,
peut-être, pour un penseur qu’on associe, à juste titre, avec le mouvement
romantique, il a ses racines dans le néoclassicisme du XVIIe. Les poètes qu’il
cite le plus fréquemment et le plus facilement sont Horace et Boileau ; il est
grand amateur de Molière et de La Fontaine, dont il utilise souvent textes ou
personnages pour illustrer ses propres observations sur les passions; tout son
goût littéraire, en fait, le porte vers le classicisme. Nombreux, par exemple,
sont ses contemporains à s’enthousiasmer pour le sublime des hautes montagnes,
les cataractes sauvages, les océans en furie : lui préfère ce qui est calme,
l’ordonné, l’harmonieux. Son rêve architectural est de remplacer les « cabanes
entassées » et les « mares infectes » de la France rurale par des «
constructions régulières ». Il n’a que mépris pour les « savants » qui veulent
habituer leurs contemporains à des « points de vue hideux » comme « les
montagnes pelées de Provence, la fontaine de Vaucluse, qui est une horreur à
reculer d’effroi, et les plaines sablonneuses de Champagne, qu’on vante sous le
nom de belle France 33 ». Son
idéal, résumé dans ses descriptions de la Phalange, c’est un paysage clairsemé
ici et là de belvédères et planté de fleurs, un paysage où la nature est
émondée et ordonnée, où l’œil est conduit le long de chemins bien tracés et
sous des charmilles jusqu’à des rotondes à colonnes et des tentes aux vives
couleurs : une vision dans la tradition de Poussin ou de Claude Lorrain.
III
Les goûts littéraires de Fourier ou sa sensibilité esthétique
nous renseignent sur la forme que sa vision utopique va finalement prendre.
Mais assez peu sur son contenu ou sur les circonstances de sa genèse. Et en
rien sur la question de savoir ce qui a poussé Fourier à présenter sa théorie
de l’association dans le cadre plus large d’une « théorie des destinées ».
Comment Fourier a-t-il été amené à aller dépasser son « modeste calcul » sur
l’association pour entrer dans un domaine intellectuel qu’il avait jusqu’ici
pensé être celui des « astrologues et [des] magiciens » ? Pour quelle raison
a-t-il ressenti la nécessité de construire un
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