Fourier
les lois de l’organisation
sociale, objet primitif et essentiel de mes recherches 37 .
L’objectif initial de Fourier comme penseur n’est pas moins
grandiose. Convaincu de l’existence d’une loi gouvernant aussi bien le monde
matériel que le monde moral, il entreprend lui aussi d’établir son propre
système universel. Pour lui comme pour Saint-Simon, la loi de la gravitation
universelle édictée par Newton doit pouvoir, une fois bien comprise, servir de
fondement à un tel système.
Tous les divers systèmes qu’on voit s’échafauder à l’époque sont
sous-tendus par une conviction commune : il faut parvenir à une compréhension
plus riche, plus profonde qu’en ont eue les Lumières de l’homme et de la
société. Les hommes sont tous d’une nature semblable et égaux en droit, disait
la philosophie des Lumières : réactionnaires catholiques et socialistes
utopiques se rejoignent pour rejeter cette vision et pour mettre au contraire
l’accent sur la diversité du genre humain et le caractère unique de chaque
homme. L’esprit humain, pour eux, n’est pas une table rase, une ardoise nue :
chaque homme naît avec certaines dispositions et propensions innées. La philosophie
des Lumières a trop facilement fait confiance à la rationalité de l’être humain
; elle a trop cru qu’on pouvait établir un ordre social juste, libre et
égalitaire par simple fait du législateur. Réactionnaires et socialistes
utopiques se retrouvent encore ici pour souligner au contraire la primauté de
l’irrationnel dans ce qui fait le ciment d’une société, l’influence cruciale
des passions sur le comportement humain et enfin l’importance du statut et de
la hiérarchie comme garants de l’ordre social.
Dernier point commun, chacun des penseurs de cette génération,
alors qu’il essaie de réfléchir sur la Révolution française et d’inventer un
système susceptible de remplir le vide intellectuel qu’elle a laissé après
elle, est persuadé d’avoir découvert dans l’histoire un schéma providentiel.
Pour de Maistre ou de Bonald, la Révolution française a été un mal radical - un
épisode « satanique » ou « diabolique ». L’un comme l’autre, toutefois, voient
la Providence à l’œuvre dans les événements. « Jamais (écrit de Maistre) la
Divinité ne s’était montrée d’une manière si claire dans aucun événement
humain. Si elle emploie les instruments les plus vils, c’est qu’elle punit pour
régénérer 38 . » L’idée est au
centre de la pensée de Maistre, de Bonald, et, avec un accent un peu différent,
de Ballanche : la Révolution française a été une « punition » qui doit
permettre à la France d’expier ses péchés et d’ouvrir ainsi la voie à un grand
mouvement de régénération.
Certes, ni Saint-Simon ni Fourier n’évoquent Satan ; le
vocabulaire du péché et de la damnation leur reste étranger, mais eux aussi
voient la Providence à l’œuvre dans le monde et croient pouvoir en percer le
dessein. Du début à la fin de l’œuvre de Saint-Simon, on trouve des passages
qui, assure-t-il, lui ont été dictés par Dieu. Pendant toute sa carrière,
Fourier affirmera avoir découvert « le plan de Dieu » pour l’univers.
A l’époque où Fourier commence à faire des disciples, la
Révolution française est finie depuis plus d’une génération ; le contexte
intellectuel dans lequel la pensée de Fourier a pris naissance a depuis
longtemps disparu. Le providentialisme de Fourier, son hostilité viscérale à la
Révolution française, son rêve d’établir un système universel, ce sont là
autant de traits totalement étrangers aux jeunes hommes et femmes qui, dans les
années 1830 à 1840, vont faire du fouriérisme un mouvement démocratique, social
et humanitaire. Rien de surprenant, dans ces conditions, si la pensée de
Fourier a été mal comprise, voire fondamentalement trahie, par presque tous ses
disciples. Rien de surprenant non plus à ce que des générations d’historiens
l’aient interprétée sous l’angle de leurs propres idéaux républicains et
socialistes. Or, pour suivre et comprendre l’évolution de la doctrine
fouriériste, il ne faut jamais perdre de vue qu’elle s’est initialement forgée
en réaction contre la Révolution française, qu’elle est née du désir de recréer
un ordre dans un monde ébranlé jusqu’en ses fondements. Toute sa vie, Fourier
verra dans sa pensée une antithèse à la
Weitere Kostenlose Bücher