Fourier
l’atmosphère de troubles en publiant dans un journal de Lyon un
article où il attribue la prévalence des taches du soleil et le mauvais temps à
des odeurs corrompues émanant de la Terre et de Mercure 22 . Il désigne ces planètes comme « le
Roitelet » et la « Vestale » : on y voit des allusions voilées au roi de Rome
et à Marie-Louise ; on manque l’arrêter comme propagandiste bonapartiste 23 . Quant à ses négociations d’affaires,
elles sont vite conclues : il commencera à travailler l’année suivante. Cela
lui donne, pense-t-il, amplement le temps d’achever la partie la plus difficile
du Grand Traité - si seulement Hortense veut bien coopérer avec lui.
Lorsque Fourier revient, à la mi-août, à Talissieu, les choses
n’ont fait qu’empirer. Hortense va jusqu’à refuser de parler à son oncle. Dès
qu’il entre dans une pièce, elle se lève abruptement et sort. Après une
semaine, il se rend compte que la situation est sans espoir et décide d’« abandonner
le champ de bataille ». Préférant se tenir éloigné de Lyon le temps que
l’ambiance s’y calme, il paie deux mois de loyer pour une chambre dans le
village voisin d’Artemare. Informé le 25 août de sa décision, Hortense
reconsidère la question. Elle commence à craindre que le départ de son oncle ne
fasse jaser les gens. Un soir, elle vient le trouver dans sa chambre et le
supplie de rester. Devant son refus, elle déverse sur lui « un torrent
d’injures, des phrases de Messaline et de vivandières ». Puis elle met en doute
sa virilité. Il n’a pas, dit-elle « agi en homme ». Il se prétend apôtre de la
liberté amoureuse, mais « il n’a pas profité des belles charges qu’il a eues ».
La tirade d’Hortense dépasse en violence et en grossièreté tout ce qu’il a jusqu’ici
eu à subir. Du coup, il change d’avis : « L’extrême indécence de ses discours
me rendit curieux d’examiner plus amplement ce qu’était cette maison... de
chercher de voir clair, de débrouiller ce dédale d’hypocrisie. » Le lendemain
matin, il laisse une note informant ses nièces qu’il voulait bien rester. Il
leur dit qu’il répondrait à leur accusation de ne pas « avoir agi en homme ».
Il leur fait même ce qu’il appellera plus tard des « propositions ». Mais ce ne
sont là que « paroles en l’air ». Son véritable objectif, en restant, est de
trouver une explication à la conduite de ses nièces et à ce « dévergondage
plâtré de bégueulerie » qu’il n’est toujours pas parvenu à comprendre 24 .
Cette semaine-là, Fourier fait une petite enquête sur ses nièces
dans le village et découvre rapidement que le nombre de leurs amants est devenu
la fable de toute la région. On leur prête une attirance particulière pour les
soldats. Pour le divertissement des dits soldats, une de leurs maîtresses
d’école, « une véritable Messaline », a organisé des « orgies secrètes ». Par
ailleurs, elles ont aussi eu, semble-t-il, un instituteur italien, « un rusé
personnage », qui faisait une pratique de séduire ses élèves. Fourier
s’enquiert plus avant des mœurs de la région en matière de sexualité. On lui
raconte qu’il n’est pas rare de voir déflorer des fillettes de dix ans ; on lui
explique les ravages causés parmi les filles de paysans par les « demi-soldes
», ces anciens combattants des guerres napoléoniennes prématurément mis à la retraite.
« Vous ne connaissez pas le pays que vous habitez », lui dit un « expert » en
ces matières. Dûment rapportés dans ses cahiers, ces récits donnent à la vision
qu’a Fourier des « vertueuses campagnes » une dimension inédite. Comme il
l’écrit dans un brouillon du Grand Traité :
J’ai vu dans un hameau de 40 feux où j’étais allé habiter
pour travailler à ce livre, j’ai vu, dis-je, dans ce prétendu asile de
l’innocence champêtre, des orgies secrètes aussi bien organisées que dans une
grande ville, des demoiselles de vingt ans plus exercées, plus rouées que ne
pouvaient l’être à quarante ans Laïs et Phryné ; des paysannes habituées à voir
déflorer leurs filles à l’âge de dix ans, des pères et mères bien informés de
tout ce manège et y donnant les mains aussi froidement que les mères de Otahiti
se prêtaient à la prostitution de leurs filles. Tout ce dévergondage était bien
fardé de bégueulerie, de communions et de sacrilèges. Voilà ce qu’on peut voir
partout comme je
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