Fourier
à
s’estomper, le séjour de Fourier avec les Parrat-Brillat fut globalement plus
harmonieux que son année à Talissieu. Non qu’il n’y ait eu des hauts et des
bas. Fourier était trop franc, trop taquin aussi, pour éviter de croiser à
l’occasion le fer avec sa sœur Sophie sur des questions domestiques. Il fait
savoir par exemple tout de go qu’il n’approuve pas la manière impérieuse dont
elle mène sa maisonnée et il régale ses amis d’imitations de son mari et de
l’admiration servile que celui-ci porte à son épouse. Sophie ne savait sans
doute rien de la « Hiérarchie du cocuage » de Fourier (où son mari figure comme
modèle du « cocu rehaussé »), mais elle rend rapidement Fourier responsable de
la chanson La Mariée de trois mois (et de son refrain « Tout comme fait ma mère
») qui commence à circuler dans Belley l’été 1819 32 . La même année, Fourier réussira à provoquer l’ire de
toute la famille en sabotant le mariage qu’on fomente pour sa nièce Agathe
Parrat-Brillat. Mais cela ne viendra que plus tard. Pendant tout son séjour,
Fourier semble avoir été plutôt le bienvenu dans la maison Parrat-Brillat. Il y
a là six enfants, cinq filles et un garçon, et il passe de joyeuses soirées à
les amuser avec sa virtuosité de mime et ou en jouant à des parties de Dos
Condos. Il a une tendresse particulière pour la plus jeune, Olympe, qui, quinze
ans plus tard, écrira des mots chaleureux sur l’époque où Fourier avait fait
partie de la famille 33 .
Lorsque Fourier s’installe à Belley en février 1817, il compte
au départ ne rester que six semaines. Son moral est bas. Incapable de se mettre
au travail sur son Grand Traité, il ne songe pour l’instant qu’à la publication
d’un second « prospectus ». Mais chez les Parrat-Brillat il trouve une
atmosphère plus favorable à son travail que ce n’était le cas à Talissieu. Au
mois de mars, il fait une avancée qui le détermine à prolonger son séjour et à
mettre enfin le Grand Traité en chantier. Le « problème fort embarrassant »
qu’il parvient à résoudre est celui du « système d’accords passionnels ». «
Pendant les dix-neuf premières années d’études, écrivit-il plus tard, je
croyais que l’harmonie sociétaire exigeait le développement complet des douze
passions. Je le croyais d’autant mieux que je ne connaissais pas le système
d’accords. Il ne fut inventé qu’en mars 1817 34 .
» Enhardi par cette découverte, Fourier se lance dans la rédaction de la
première moitié (ou « Octave majeure ») de son Grand Traité 35 . C’était la partie la plus difficile de
l’ouvrage, celle qu’il avait toujours redoutée. A l’automne 1817, il a réussi à
achever plusieurs longues et épineuses sections sur l’équilibre des passions et
s’est embarqué dans ce qui deviendra Le Nouveau Monde amoureux. En quelques
semaines, il vient de faire une nouvelle découverte qui concerne les usages de
l’amour platonique dans la communauté idéale. Comme il l’expliquera plus tard :
En 1807, mes progrès dans la Théorie d’Harmonie ne
s’étendaient guère qu’aux relations d’Amour sensuel qui, étant les plus faciles
à calculer, devaient être l’objet des premières études. Ce n’est que depuis
1817 que je tiens la Théorie des Céladonies harmoniennes en simple et en
puissanciel, Théorie qui figurera avantageusement dans le Traité et qui
renverra à l’école nos champions sentimentaux, nos troubadours et bergers du
Lignon. Ils seront convaincus de n’être que des cyniques travestis ; il en sera
de même de nos Paméla et fausses Agnès, tant de la ville que des innocentes
campagnes, qui l’emportent sur la ville en hypocrisie sans lui céder en cynisme 36 .
Parmi les « cyniques déguisées » et les « fausses Agnès » que
Fourier a le plaisir de « renvoyer à l’école » par ses réflexions sur l’amour
sentimental figurent bien entendu ses propres nièces.
Quand vient l’été 1818, Fourier peut se targuer d’avoir « achevé
la portion la plus difficile du calcul ». Sa publication, il en est convaincu,
va lui apporter gloire et fortune. Lorsqu’il narre à son neveu Georges le
détail de sa querelle avec ses nièces, il ne peut pas s’empêcher d’ajouter
qu’Hortense a fait une grave erreur en rejetant sa proposition. D’ici cinq ans,
lorsque Fourier aura publié son traité et que les cavaliers aux larges épaules
auront commencé à tourner
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