Fourier
»,
Labatie, est dans la pièce à côté, en train d’observer la scène. « Je pensais
qu’elle allait être grondée, écrira-t-il plus tard, mais il alla plus loin et
donna l’ordre de brouillerie. » Le lendemain, lorsque Fourier demande à
Hortense de lui coudre un de ses cahiers, elle refuse sèchement. Puis Labatie
lui-même insulte Fourier en face des jeunes filles, lui reprochant des vers
satiriques que Fourier a fait circuler parmi ses amis. Ce n’est encore qu’un
début.
Entre-temps, Hortense, qui est « rien de moins que laborieuse »,
a trouvé du travail : napper des draps, pour trois dames respectables de
Talissieu. Au bout de quelques jours, elle perd patience et les quitte, pour
trouver un emploi dans le village voisin de Marlieux, chez une dame, qui n’est
autre que la sœur du capitaine Labatie. Bientôt, elle a tant de travail,
prétend-elle, qu’au lieu de rentrer, elle passe la nuit dans la maison des
Labatie. Puis c’est au tour de Clarisse de passer ses nuits dans le village
voisin de Billieux. En voilà plus que Fourier n’en peut supporter : la maison
est devenue « un honnête Bordel où le public venait demander des femmes à
coucher ». Au retour des jeunes filles, il les met en face de leurs frasques
passées : si ce genre de « découchements » continue, il serait obligé
d’informer leur frère de « tous les détails de cette équipée ainsi que des
préliminaires », sur lesquels il a eu jusqu’ici la discrétion de fermer les
yeux. Il y va, leur rappelle-t-il, de sa propre réputation aussi bien que de la
leur. Aux yeux de la société, il est responsable d’elles : si elles se
comportent comme des « libertines fieffées », on le croira complice : « Le
public pouvait les chansonner... et moi j’aurais le couplet du souteneur. » Des
chansons ! Il en fallait plus pour faire peur aux filles. Elles jouèrent leur
vieux numéro de l’innocence outragée. « Pure hypocrisie » aux yeux de Fourier.
« Elles employèrent la bégueulerie, prétendant que les capitaines de grenadiers
étaient bien timides auprès des femmes et que les chaises craquaient toutes
seules dans une chambre où se trouve un couple d’amoureux. Ce furent ces
niaiseries qui brouillèrent les cartes 19 .
»
Alors qu’approche de la date prévue pour son départ à Lyon,
Fourier commence à soupçonner Hortense d’être enceinte. On fait un examen :
négatif. Là-dessus, Hortense menace de se suicider. L’agitation de Fourier
atteint un tel point qu’il ressent à nouveau les crampes d’estomac dont il
avait souffert pendant trois ans à Lyon. Cela ne l’empêche pas d’écrire, la
veille de son départ, une lettre délicieusement sarcastique à Laurette Labatie,
la sœur de « l’amoureux titulaire » d’Hortense. L’enthousiasme qu’Hortense met
à son travail, écrit-il, est « une métamorphose vraiment miraculeuse ». Mais le
public croit aux apparences, pas aux miracles. Quant à lui, il partage
l’opinion du public, du moins dans la mesure où elle peut affecter la
réputation de la famille.
J’ai pour principe que les jeunes femmes étant victimes du
préjugé, elles font bien de se dédommager en secret... Aussi suis-je le plus
complaisant des aveugles avec celles qui sauvent les apparences. Mais je
n’adhère pas de même à des inconséquences qui peuvent exposer une famille aux
quolibets 20 .
Il ne tient guère à « jouer le rôle d’un censeur incommode qui
trouble les amours », mais il se sent néanmoins obligé, « en bon parent », de «
prendre des mesures pour qu’ils soient conduits à l’avenir plus prudemment ».
Sur cette salve finale, Fourier part pour Lyon. En dépit de tout, il est
toujours déterminé à réintégrer « la Fabrique » et à faire sa proposition à
Hortense.
En arrivant à Lyon, début juillet, il y trouve un climat
politique tendu et agité. Le sentiment bonapartiste y est fort ; on vient, six
mois plus tôt, d’éventer un complot impliquant des officiers. L’homme soupçonné
d’avoir été l’âme de ce complot, un avocat de Grenoble du nom de Jean-Paul
Didier, s’est échappé, mais c’est pour fomenter une véritable insurrection à
Grenoble, en mai. Le regain d’activité des conspirateurs dans tout l’est de la
France a fait redoubler de vigilance la police de Lyon : une véritable chasse
aux sorcières est en cours 21 .
Fourier a apporté avec lui quelques manuscrits. Bien malgré lui, il va
contribuer à
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