Fourier
jeunes
filles quittent la maison : elles vont habiter chez l’ami de Fanny, Garin de
Lamorflanc, jusqu’à ce que leur oncle déguerpisse.
Fourier sort alors l’affaire du cercle familial. Le 1er février,
il écrit une longue lettre au juge de Belley. Son propos est de se justifier
sur sa conduite et de demander l’aide du juge pour faire revenir les filles à
Talissieu, mais il ne peut pas s’empêcher de les accabler d’invectives. Ce sont
« des libertines fieffées, des dévergondées qui en secret jurent comme des
vivandières, ne jugent les hommes qu’à la toise et à la carrure ». Il refait
l’historique de la querelle depuis les origines, s’attardant sur les visites nocturnes
reçues par les filles, mais omettant de parler de son propre amour pour
Hortense et de ses propositions concernant le traité. Son attitude à l’égard de
la conduite de ses nièces n’a été motivée que par le souci de leur réputation,
et de la sienne.
Habitué aux villes et provinces où l’on chansonne sans
quartier celles qui vont coucher en lieu suspect, en domicile d’amant sans
présence de père ou mère, je trouvai très scandaleux que Mlle Hortense allât
coucher une semaine entière et sous de frivoles prétextes au logis d’un
militaire qui était son amant affiché.
J’étais loin de blâmer ces amusements, étant par système
partisan des libertés du sexe. Je m’élevai seulement contre les absences
nocturnes qui compromettaient la maison et moi-même par ricochet, car si la
demoiselle était revenue enceinte de ces excursions, ses parents, son frère
aîné m’aurait blâmé à juste titre d’avoir gardé le silence sur ce mode de
fréquentation. J’aurais selon l’usage risqué d’avoir une apostrophe dans une
chanson comme bénit spectateur ou comme co-intéressé courtisan quelque autre
nièce 29 .
Cette peur d’être en butte aux moqueries des gens est un trait
caractéristique de Fourier. Satiriste-né, il sait trop le pouvoir du ridicule.
Plus d’une fois, il lui est arrivé d’essayer sa main à tourner une chanson.
Avant de partir, il en compose d’ailleurs une, soi-disant pour donner à ses
nièces une leçon et leur montrer « le danger qu’elles avaient couru ». Non
seulement, dit-il, il connaît leurs trois amoureux déclarés, mais encore « si
je trouvais déjà si bien matière à couplets, que ferait un homme qui
connaîtrait les intrigues secrètes ?» Le 16 février, il quitte Talissieu
définitivement.
IV
Lorsque Fourier arrive à Belley pour prendre résidence chez les
Parrat-Brillat, il s’aperçoit que la rumeur de la querelle l’y a précédé. On
l’a accusé d’être un voyeur, un ennemi de la jeunesse, un vieux libidineux, et
d’avoir (en vain) essayé de séduire toutes les filles de Talissieu, à commencer
par ses propres nièces. Il cherche la source de ces « accusations ridicules »
et découvre que son « innocente » nièce Fanny a écrit aux Parrat-Brillat une
lettre contenant (selon lui) « plus de trente calomnies ». Des mois plus tard,
quand Fanny et Garin se seront enfin mariés, Fourier continue de traiter la
plus âgée de ses nièces de « vipère » ou de « fausse Agnès », Garin de «
tartuffe » et leur maison d’un « atelier de fables à répandre 30 ».
L’année suivante, depuis longtemps absorbé par la préparation de
son traité, Fourier éprouve encore de temps en temps le besoin d’envoyer une
missive à tel parent ou ami afin de réfuter les « calomnies » de ses nièces. Il
lui faut près de dix mille mots par exemple pour mettre au courant son neveu
Georges Rubat d’une querelle qu’il décrit comme « un démêlé qu’elles ont donné
pour affaire d’amour ». Ses nièces sont des « cyniques » qui voient tout en
termes de sexualité. Il a été incompris d’elles, et d’Hortense en particulier.
Il assure à son neveu :
A Talissieu, comme aujourd’hui, j’avais en tête des
affaires fort différentes des amourettes [...]. Je n’ai envisagé femme et homme
que sous le rapport du secours qu’ils pouvaient apporter à mon occupation
exclusive [...]. Si l’une des demoiselles Rubat ne m’avait pas présenté un
auxiliaire utile, une sorte de planche dans le naufrage dans le moment où je
reculais comme Jésus devant le calice d’amertume, s’il n’y avait pas eu pour
moi que la convoitise de la petite personne, j’aurais passé 31 .
Malgré ces échos d’une querelle qui mettait du temps
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