Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
au cadenas avait été coupée et la porte en métal était légèrement entrouverte. Cela m’interpella au point d’aller voir de plus près.
— Pourquoi quelqu’un s’amuserait-il à faire cela ? demandai-je à César en lui montrant la chaîne cisaillée.
Il haussa les épaules et me suivit à l’intérieur. Au fond de la pièce se trouvaient plusieurs anneaux en fer fichés dans le mur. À l’un d’eux pendait une corde. Ce n’était pas une vieille corde usée ; au contraire elle avait l’air toute neuve, et l’extrémité en avait été récemment coupée.
— Quelqu’un était retenu ici, en conclut César en l’examinant.
J’acquiesçai en silence, mais me forçai à ne pas en tirer de conclusions hâtives.
— Une dispute entre contrebandiers ? suggérai-je.
— Peut-être… mais pourquoi une corde ?
— Est-ce important ?
— Possible… parfois les menottes en nécessitent une.
Le but des menottes est d’être suffisamment petites pour retenir un prisonnier. Mais ce qui vaut pour un adulte ne vaut pas pour un enfant qui, grâce à ses petites mains, se dégagerait facilement.
— Oh, mon Dieu…
César se remit à examiner la corde, avec sur le visage ce qu’un innocent aurait pu prendre pour un sourire.
— Elle vient juste d’être coupée. Avec un peu de chance, il n’a pas beaucoup d’avance sur nous.
Il plongea dans le passage, ses hommes se précipitant à sa suite. Je les suivis de près, maudissant les jupons qui entravaient ma course. Nous courûmes… je ne saurais dire combien de temps. À plusieurs reprises, je crus entendre des bruits devant nous, mais nous-mêmes en faisions beaucoup et je ne pouvais en être certaine. Le passage se mit à remonter. Soudain, je sentis une odeur d’encens dans l’air.
César ouvrit une porte à la volée, et nous nous jetâmes tous à sa suite. J’entendis un cri, puis le fracas du métal heurtant la pierre. Devant moi, un mur de condottieri me bloquait le passage. J’avais beau me hisser sur la pointe des pieds, je n’y voyais rien derrière leurs larges épaules. Je m’armai de courage et réussis à me glisser entre eux, pour me rendre compte que nous avions débarqué dans la sacristie, au beau milieu des prêtres en train de mettre la dernière touche aux obsèques d’Innocent.
L’apparition subite en ces lieux respectés d’hommes en armes, brandissant des torches fumantes d’un œil hagard comme s’ils surgissaient de l’enfer, sembla mettre la foi de plus d’un à l’épreuve. Un tumulte plutôt inconvenant s’ensuivit lorsque les saints hommes tentèrent de s’échapper en criant bruyamment à l’aide.
Toute cette agitation prit fin quand César brandit son épée en hurlant : « Halte ! » En entendant cet ordre, ses hommes se déployèrent pour bloquer la sortie.
— Nous sommes à la poursuite d’un prêtre qui détient un enfant, annonça-t-il. Par où sont-ils allés ?
Le silence accueillit sa requête, rapidement suivi de plusieurs réponses bredouillées en même temps, certaines craintives, d’autres indignées, mais aucune utile bien évidemment – jusqu’à ce qu’un vieux prêtre, rassemblant ce qu’il lui restait de dignité, se mesure directement à César.
— Qui êtes-vous, monsieur ? demanda-t-il. De quel droit venez-vous ici ?
L’espace d’un instant, César eut l’air hésitant. De quel droit, en effet ? Le droit de l’épée, manifestement, mais souhaitait-il réellement la brandir en pareil lieu ? La bienséance ne voudrait-elle pas qu’à tout le moins il feigne de respecter l’autorité de la sainte Église, l’arbitre suprême devant lequel même les plus puissants des guerriers doivent s’agenouiller un jour ?
— Je suis César Borgia, fils du Cardinal Rodrigo Borgia ! Vous allez m’obéir tout de suite, ou bien vous aurez à affronter ma fureur !
Voilà qui était admirablement récompenser Il Cardinale, lui qui s’était donné tant de mal pour rester discret quant à sa filiation, à une époque où la tendance allait à l’inverse.
Le vieux prêtre pâlit, mais ne céda pas. Les autres s’en tinrent à nous vilipender à voix basse comme si nous n’étions pas là, mais lui se redressa pour braver César.
— Vous êtes dans un lieu sacré, ici ! Rengaine ton épée, fils de Borgia, et qu’elle reste dans son fourreau tant que tu es sous ce toit !
Par moments, j’ose croire qu’il y a encore de l’espoir pour notre
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