Francesca la Trahison des Borgia
respirer. Stupéfaite, j’entendis des sortes de miaulements émaner de moi. Je m’accrochai à Sofia et dans le même temps oubliai totalement sa présence.
Je me trouvais de nouveau derrière le mur, mais ce dernier n’offrait aucune protection ; une vague de sang déferlait d’en dessous, d’au-dessus, des deux côtés, et m’engouffrait. J’entendis des cris et une voix implorante, mais ses mots n’avaient aucun sens pour moi car ils venaient juste avant que le monde ne vole en éclats.
— Ne fais pas un bruit, mon ange. Reste bien tranquille.
Qui parlait ? Quelles étaient ces mains qui exerçaient une douce pression sur moi, dans le noir ?
— S’il vous plaît mon Dieu, faites qu’elle ne voit pas…
— Mamma !
Un grand silence m’enveloppa alors, qui me parut durer une éternité. Je baignais dedans, recroquevillée au plus profond de moi-même, et en sécurité tant que je ne bougeais pas. Puis, je ne saurais dire combien de temps après, je vis des rais de lumière et sentis le goût du bouillon sur ma langue, que l’on me donnait à la cuillère. Un moineau voleta devant moi. Les draps sous moi étaient froids. Quelqu’un me parlait.
Mon père ?
Mais il était mort, et j’avais échoué une fois de plus à le venger.
— Francesca… ?
J’ouvris les yeux. Sofia m’étreignait toujours, mais c’était David qui avait parlé. En me voyant garder le silence, il demanda :
— Que lui arrive-t-il ?
— C’est ce que je craignais ; tout cela l’a épuisée. Elle commence à se souvenir.
— À se souvenir de quoi ? s’enquit David, et je me le demandai moi-même, mais en un certain sens je crois que je savais déjà.
Je dormis alors, d’un sommeil profond et sans rêves, Dieu merci.
Lorsque je me réveillai, c’était le matin. Je sentis une bonne odeur de bouillie de flocons d’avoine en train de cuire, et entendis des voix toutes proches. Je tentai de bouger mais mes gestes étaient hésitants ; je me sentais aussi fragile qu’un objet en verre créé par Rocco. Finalement je réussis à m’asseoir, et même à faire pivoter mes jambes sur le côté. De là, il ne me restait plus qu’à rassembler mes forces et me lever.
La pièce tourna autour de moi mais je tins bon, jusqu’à ce que tout revienne à la normale. Lorsque ce fut le cas je fis un pas, puis un autre, avec la plus extrême prudence. Sofia et David étaient attablés à l’avant de l’échoppe. Ils se levèrent d’un bon en me voyant.
— Je vais bien, dis-je, ce qui ne les arrêta pas pour autant. À la vérité, je ne fis pas beaucoup d’efforts non plus. Dans mon état de faiblesse, l’idée que l’on s’occupe de moi relevait de l’irrésistible tentation.
— Assieds-toi, insista Sofia. Lorsque je lui eus obéi, elle posa une tasse de thé devant moi et resta là jusqu’à ce que j’aie quasiment tout bu. Le goût était un peu amer, mais pas désagréable. Prestement, je me sentis revenir à la vie.
Avant tout, je devais savoir :
— Avez-vous retrouvé mon couteau ?
Même s’il avait servi il restait enduit de poison, ce qui le rendait effroyablement dangereux pour toute personne ne le manipulant pas avec la plus extrême précaution.
Sofia me rassura aussitôt :
— Nous avons pris le parti, au vu des circonstances, de le manier avec le plus grand soin. Il est dans une boîte fermée à clé.
Soulagée, je hochai la tête et poursuivis :
— Quelles sont les nouvelles, en ville ?
Ma voix me faisait l’effet d’une poignée de graviers roulant au fond d’un baril, mais j’étais déterminée à parler.
— Aucun signe de Morozzi, répliqua David. Alfonso a déployé ses hommes pour le chercher, mais jusqu’ici ils n’ont rien trouvé. Les hommes de Borgia sont chez toi, ils te demandent. Une rumeur circule selon laquelle tu serais morte.
Ah, Rome et ses colporteurs de ragots, toujours prêts à inventer une bonne histoire.
— Et de quelle façon ?
Ma curiosité vous paraîtra peut-être quelque peu morbide, mais cela m’intéressait vraiment de le savoir.
— Abattue à l’intérieur d’une église, rétorqua Sofia d’un air sombre. Les avis sont partagés quant à savoir si tu as été punie pour tes turpitudes ou bien celles de Borgia.
— Je pencherais pour la seconde option, assurément. Toute seule, je ne vaux guère de finir de façon aussi spectaculaire.
— Tu en plaisantes, mais c’est tout à fait sérieux. Tu
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