Francesca la Trahison des Borgia
que tu es prête à parlementer. En mettant de côté la question de savoir s’il te croira et se laissera persuader de sortir au grand jour, comment exactement comptes-tu t’y prendre pour le contacter ?
— Je ne sais pas… encore. Mais mon petit doigt me dit que ton père a un espion parmi Il Frateschi, quelqu’un qui n’est peut-être pas suffisamment infiltré pour savoir où Morozzi s’est réfugié, mais peut tout de même faire passer l’information. Cela expliquerait, en tout cas, comment Morozzi a su que je serais à la villa.
— Mais tu ne crois pas que papa nous l’aurait déjà dit, si une telle personne existait ?
Comment lui répondre de la façon la moins blessante possible ?
— Ton père chérit davantage ses précieuses informations que sainte Agnès de Rome sa virginité.
César éclata d’un rire bruyant, et tendit le bras pour nous resservir du vin.
— Tu as bien raison. Chercher à obtenir une réponse franche de lui revient à vouloir démêler le nœud gordien. S’il a bien un défaut, c’est celui-là.
À part moi je craignais que Borgia en ait bien davantage, mais pour rien au monde je ne le lui aurais dit. J’avais cependant un problème : j’étais singulièrement incompétente dans l’art vénérable de la flatterie — ce qui était un véritable scandale, pour une Romaine. Je tentai tout de même ma chance.
— Ton Père a plus confiance en toi qu’en aucun autre. Assurément, si tu lui posais la question il te révélerait ce que nous avons besoin de savoir ?
Un désir si ardent se peignit alors sur son visage que j’en détournai le regard.
— Tu crois vraiment qu’il me fait confiance ?
J’aurais pu, du moment que je fermais les yeux sur les folles divagations de Sa Sainteté s’agissant du complot que son fils serait en train d’ourdir contre elle. Borgia avait été aussi près de s’excuser à ce sujet qu’il était capable de le faire, mais comment avoir la certitude qu’il y croyait vraiment ? Parfois je me demandais si lui-même le savait.
— Oui, répondis-je sans hésitation, bien sûr qu’il te fait confiance. Tu es son fils aîné, celui qu’il a choisi pour marcher sur ses traces. À l’évidence, il te fait plus confiance qu’aux autres.
César fit tourner sa coupe entre les doigts, puis laissa échapper un long soupir.
— Il passe beaucoup de temps avec Juan, en ce moment.
— Mais n’envisage-t-il pas de lui arranger un grand mariage ? Il tente peut-être de l’assagir quelque peu en prévision.
Versatile comme il l’était, Juan pourrait fort bien perturber les délicates négociations qu’il serait nécessaire d’engager en vue du genre de mariage que Borgia voulait pour son fils — une union destinée à servir ses propres intérêts avant tout.
— C’est possible, concéda César. Peut-être y a-t-il une princesse aux Indes, ou du moins là où le grand Colomb est allé, qui voudra bien de lui comme mari.
Je souris et levai mon verre à cela.
— Quelle excellente idée. Je crois que tu devrais le lui suggérer.
— Hélas, il semblerait que l’heureuse élue soit la cousine du roi Ferdinand, Maria Enriquez de Luna.
Ainsi donc, ce serait une union espagnole — ce qui paraissait plutôt logique vu combien Borgia avait besoin du soutien de Leurs Majestés très catholiques ; mais qui n’aiderait assurément pas à le réconcilier avec les Français. L’idée me traversa l’esprit de demander à Portia de miser un peu d’argent pour moi. Avec ma renommée grandissante, cela devenait compliqué de le faire moi-même.
— Il a encore un entretien avec de Haro ce soir, poursuivit César. Je lui parlerai après. Mais en attendant… En attendant, tu ne m’as toujours pas dit ce qui te trouble autant.
Il me regarda d’un air sérieux et s’empara d’une de mes boucles, qu’il fit tourner entre ses doigts.
— Tu connais la situation aussi bien que moi…
— Je ne parle pas de ça, mais de ces moments où tu te réveilles les joues baignées de larmes, ou bien quand je te retrouve recroquevillée dans un fauteuil, comme si tu venais tout juste d’échapper à des monstres venus de l’enfer.
Tel est le piège de l’intimité, qui met au jour ce que nous voudrions voir enfoui le plus profondément possible.
J’allais mentir (une fois de plus) en lui assurant qu’il se faisait des idées, lorsque je me souvins de la gêne de Vittoro à évoquer son rêve, mais aussi
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