Francesca la Trahison des Borgia
faisait à présent des petites flaques sur les pavés, où se réfléchissaient les flammes des torches éclairant cette scène macabre.
Ayant mis pied à terre, César et moi nous frayâmes un chemin à travers la foule qui grossissait de minute en minute. Je n’en étais pas fière mais je lui avais pris le bras, bouleversée comme je l’étais par la vision d’horreur que nous venions d’avoir. Elle était jeune, à ce que j’en voyais, et vêtue d’une simple chemise blanche, dont la partie inférieure avait brûlé en même temps que sa peau. Ce qu’il restait d’elle, en bas, n’était que brûlures et crevasses, d’où suintaient encore du sang et d’autres fluides. Au-dessus de la taille elle était quasiment intacte, hormis les taches formées par la fumée noire autour de son nez et de sa bouche, là où elle avait respiré les émanations qui avaient eu finalement raison d’elle, mais pas assez rapidement pour empêcher ses traits d’être tordus par l’agonie. Ses cheveux dorés restaient d’une beauté incongrue dans ce sinistre tableau, retombant joliment sur ses épaules, comme si quelqu’un les avait brossés avant de l’abandonner aux flammes.
Alfonso était agenouillé à côté d’elle, tenant son corps dans ses bras, sanglotant bruyamment. Une garde de jeunes contrebandiers à l’air interloqué avait formé un cercle autour d’eux, et plusieurs d’entre eux semblaient sur le point de vomir. Je réprimai une soudaine envie d’en faire autant, et me serrai un peu plus encore contre César.
Malgré mon dégoût, je m’agenouillai à côté d’Alfonso pour observer la jeune fille. Lorsque je parvins à voir au-delà de l’horreur de ses derniers instants sur terre, je la reconnus comme étant l’une des deux blondes qui décoraient le trône du roi des contrebandiers le jour où Benjamin et moi avions pénétré dans son repaire. Un bref instant, je tentai de me convaincre qu’elle était peut-être la victime d’une dispute entre Alfonso et l’un de ses rivaux, mais cette hypothèse ne concordait pas avec les faits. Encore moins lorsque j’écartai délicatement le haut de sa chemise et découvris le mot qui avait été inscrit à la pointe d’un couteau sur ses petits seins : Strega.
Morozzi s’était vengé de l’attaque dont il avait été victime, et dans le même temps avait envoyé un message on ne peut plus clair quant à ce qu’il avait l’intention de me faire. Me remémorant soudain le rêve de Vittoro, je fus prise de panique.
— Elle n’aurait jamais fait de mal à une mouche, gémit Alfonso les joues baignées de larmes, serrant la fille contre lui et la berçant d’avant en arrière. Jamais. Elle était la plus gentille, la plus douce…
Si grande était sa peine qu’il ne trouvait plus les mots.
Derrière nous, un cri transperça le silence consterné qui planait sur la place. Je me retournai et vis courir vers nous la jumelle de la victime — car vraiment, elle lui ressemblait comme deux gouttes d’eau. Plusieurs des acolytes d’Alfonso s’avancèrent pour lui faire barrage, mais cela ne l’empêcha pas de voir ce qu’il restait de sa sœur. Le hurlement qu’elle poussa alors faillit bien déchirer les cieux.
César m’aida à me relever. Je ne lui avais jamais vu un air aussi sombre, mais je suis bien persuadée que je devais faire la même tête. La place était entourée d’édifices sur ses quatre côtés, le plus grand et le plus impressionnant de tous étant la basilique Sainte-Marie, ainsi que la résidence à deux étages directement mitoyenne où logeaient les prêtres. À côté se trouvait une bâtisse plus petite mais non moins opulente, abritant une pension réservée à des gens de passage en tous points respectables. À vue de nez, il devait donc y avoir plusieurs centaines de personnes qui vivaient sur cette place ; et pourtant, pas une lumière n’était allumée, nulle part. Aucun membre du clergé n’était sorti pour voir ce qu’il s’était passé, prier pour la morte ou offrir un peu de réconfort à ses proches. Les seuls individus rassemblés sur la place étaient Alfonso, ses hommes, César et moi-même.
— Les salauds, murmura César en regardant vers l’église. Je suivis son regard, songeant exactement la même chose. Car tout de même, il était impossible que quelqu’un ait pu arriver sur cette place, installé un bûcher, attaché une fille dessus et mis le feu au bois qui l’avait
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