Francesca la Trahison des Borgia
connaisse depuis toujours, ou que l’on partage une certaine intimité. César avait été élevé comme un prince par un père qui se considérait lui-même comme l’égal, voire l’aîné, des rois et des empereurs. Il accepterait peut-être que son père lui parle ainsi (et encore), mais c’était tout.
Il n’était pas trop tard. Je pouvais encore l’apaiser avec des mots doux et une caresse. Mais la colère m’avait durci le cœur, ainsi que la sensation qu’il y avait une autre explication à son comportement déconcertant. Une explication qu’il refusait de me donner.
Et pour cette raison, il eut un aperçu de ma langue acérée.
— Je suis en train de me bagarrer avec un enfant qui aurait bien besoin de devenir un homme ! Cesse donc de craindre ton père, et sois enfin le chef que tu prétends être !
Avant qu’il n’ait le temps de répondre, j’extirpai des vêtements propres d’un coffre et me retirai pour me laver — à l’eau froide, n’ayant absolument pas la patience d’attendre qu’elle chauffe. Puis je m’habillai, m’attendant à tout moment à entendre la porte claquer de rage.
La possibilité que nous soyons brouillés pour de bon faisait comme un grand vide à l’intérieur de moi, mais je n’avais pas le temps de m’appesantir là-dessus. Quelle que soit la partie à laquelle César jouait, les enjeux étaient tout simplement trop élevés pour que je lui cède. Finalement, n’ayant plus aucune raison de ne pas ressortir, je retournai au salon. À ma surprise, mon amant ténébreux m’attendait en faisant les cent pas. En me voyant, il me lança d’un air renfrogné :
— Pour une femme qui disait être pressée, tu as pris ton temps.
Je m’efforçai tant bien que mal de dissimuler mon soulagement.
— Je ne savais pas que tu étais encore là.
— J’ai failli ne pas l’être, rétorqua-t-il en allant ouvrir la porte prestement et en me faisant signe de passer. Mais mon père escompte que l’on fasse équipe. Par conséquent, je te suggérerais de contenir ta colère à l’avenir, si tu ne veux pas que je le fasse pour toi.
Il me restait à prier pour que mon silence passe pour un signe de repentir suffisant, car j’étais bien trop fière pour concéder quoi que ce soit d’autre. Une fois dans la rue, nous attendîmes que ses hommes lui amènent son cheval. César monta, puis me hissa derrière lui. Aussitôt, nous partîmes au trot. Derrière nous, plusieurs gardes se dépêchèrent de monter également pour nous suivre. D’autres coururent le long du chemin en tenant des torches pour nous éclairer. Des chiens se mirent à aboyer à notre passage. Ici et là, aux fenêtres où les volets n’avaient pas encore été fermés tant l’air était encore doux, j’aperçus des têtes qui se penchaient pour voir ce qui causait un tel tumulte à cette heure du soir. Mais je m’appliquai avant tout à m’accrocher fermement à César, de crainte de me couvrir de honte en dégringolant de sa satanée monture.
En bonne citadine que je suis, je n’ai naturellement pas une grande affection pour les chevaux. Ils sentent mauvais, ils sont trop gros, et sont capables quand ils s’y mettent de causer des ravages dans une rue animée. Les ânes ont leur utilité, tout comme les mules, et les petits poneys qui nous viennent de Bretagne ont l’air plutôt inoffensifs. Mais dès que l’on me force à monter à cheval, je n’y peux rien, des mauvaises pensées me viennent à l’esprit. Ainsi, nous approchions du Pons Ælius et j’étais en train de songer au meilleur moyen de piéger Morozzi pour ensuite l’achever, lorsqu’un cri strident transperça l’air de la nuit.
Le cheval eut un mouvement de recul, mais César le calma aussitôt. Il aurait continué son chemin sans y songer plus avant, mais je lui mis tout à coup une main sur l’épaule.
— Attends.
Mon sang s’était soudain figé dans mes veines : je reconnaissais ce bruit. Un second coup de sifflet répondit au premier, suivi d’un troisième, puis il y en eut tellement qu’on ne les compta plus. Tous envoyaient le même message urgent :
Venez vite.
26
Le temps que nous arrivions à la piazza di Santa Maria in Trastevere, le feu faisait déjà rage. L’air était lourd des fumées et de l’odeur nauséabonde mais étrangement sucrée de la chair humaine en train de brûler. Le corps avait été retiré du bûcher et aspergé d’eau. Le liquide, qui avait coulé,
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