Francesca la Trahison des Borgia
César, en le gratifiant d’un beau sourire :
— Dieu merci, tu es là. Je ne sais plus quoi faire avec lui.
Je fus surprise (et secrètement ravie) de voir César la frôler sans plus de cérémonie pour s’introduire directement dans la chambre. Giulia se précipita à sa suite. Quant à moi je suivis à distance discrète. Borgia était avachi dans le lit, en position assise et torse nu ; un drap recouvrait ses membres inférieurs. Dans sa jeunesse il avait véritablement été un homme fort et robuste, aux larges épaules, au torse puissant et aux muscles affinés par de longues heures passées à cheval. Mais l’âge et la vie d’excès qu’il avait menée l’avaient sérieusement ébranlé. Marbrée de taches marron, sa peau pendait là où le gras ne l’avait pas fait gonfler — ce même gras qui lui avait ramolli le ventre et lui donnait presque l’air d’avoir une poitrine de femme. Mais le plus préoccupant présentement était son visage rubicond et le fait qu’il transpirait abondamment.
— J’ai bien peur qu’il ne soit malade, souffla Giulia. Il refuse de me parler. J’ai proposé de faire venir le médecin, et pour toute réponse il a jeté un vase contre le mur.
Elle montra d’un geste les morceaux de porcelaine qui gisaient au sol. Cet incident l’avait manifestement secouée, et à juste titre puisque Borgia n’avait même jamais haussé le ton envers sa maîtresse adorée.
César s’agenouilla devant son père et lui mit une main sur l’épaule. Calmement, en ne montrant aucunement l’inquiétude qu’il devait pourtant ressentir, il lui murmura :
— Papa, dis-moi ce qui ne va pas. Je veux t’aider, mais tu dois me parler.
En voyant Borgia rester silencieux, je commençai à établir dans ma tête la liste des substances qui pourraient le revigorer. Peut-être trouverez-vous cela curieux au vu de ma profession, mais il y a quantité de plantes destinées à tuer qui sont aussi à même de guérir. Comme tant de choses dans la vie, c’est bien souvent une question de mesure. J’étais en train de me demander si je devrais me fier à ma propre expérience ou solliciter l’aide de Sofia lorsque Sa Sainteté prit lui-même les choses en main, enfin.
— De l’eau.
J’empoignai la carafe posée près du lit, remplis une coupe et la tendis à César, qui la donna ensuite à son père. Borgia devait avoir considérablement soif : il vida la coupe en une seule et longue gorgée.
Ensuite il s’essuya la bouche du revers de la main, soupira profondément et dit d’une voix douce :
— La Bella, mon trésor, ne me dis pas que tu as fait mander mon fils et… (il jeta un œil dans ma direction)… son inséparable, à cette heure indue, par inquiétude pour moi ?
Giulia joignit les mains juste sous ses seins, cligna des yeux humides et se jeta aux pieds de Borgia.
— Oh, mon seigneur ! Mon maître ! Comment ne pourrais-je pas être folle d’angoisse à votre sujet ? Assurément, les fardeaux que vous devez porter écraseraient tout autre que vous. Quelle chance que Notre Père dans les Cieux ait doté notre père ici sur terre d’une telle sagesse et d’une telle force, pour nous aider en ces temps difficiles.
J’étais stupéfaite (je le suis encore, d’ailleurs) de voir à quel point les gens croyaient véritablement à ce genre de fadaises. Même un homme aussi expérimenté, aussi brillant, et par-dessus tout aussi cynique que Borgia, hochait invariablement la tête d’un air suffisant à ce genre de remarque, qu’il considérait à l’évidence comme son dû. Quant à César, cela ne le fit même pas sourciller. J’imagine que lui aussi devait entendre ce genre de niaiseries plutôt souvent.
Comme dans cette pièce personne ne semblait visiblement décidé à le faire, je posai la question qui s’imposait :
— Avez-vous mal quelque part, Votre Sainteté, ressentez-vous le moindre symptôme de maladie ?
Ou bien (comme je l’espérais) avait-il simplement un peu trop présumé de ses forces avec La Bella, ainsi qu’un homme de soixante-deux ans à l’appétit charnel développé plus que de raison serait logiquement enclin à le faire ?
Il agita une main impatiente.
— Je vais bien. Une défaillance momentanée, rien de plus. Giulia, ma douce, ne crains rien. Je reste toujours ton intrépide taureau.
Pendant que La Bella était occupée à minauder et César à regarder au plafond, je rongeais mon frein : le petit nid
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