Francesca la Trahison des Borgia
mauvais aux condottieri, comme s’ils étaient autant de saleté qu’elle était obligée de gratter sous ses souliers.
Une fois Portia et moi seules dans mon appartement, avec deux gardes postés directement de l’autre côté de la porte, je me précipitai vers un petit bureau pour y prendre du papier et de l’encre.
— Il faut absolument que je fasse passer un message au Signore d’Amico. Pouvez-vous le lui amener ?
— Bien sûr, mais si vos geôliers décident de me fouiller…
— Ne vous inquiétez pas, cela semblera parfaitement innocent.
Mon cher Signore d’Amico, écrivis-je alors, vous me voyez désolée de ne pas être en mesure de vous rejoindre, ainsi que nos amis, comme prévu ce matin. Je vous prie également de m’excuser sincèrement auprès de Sofia et de Guillaume. Affectueusement, Francesca Giordano.
Je montrai la missive à Portia, autant pour la rassurer que lui épargner le désagrément de devoir la recacheter, puisque de toute façon elle allait la lire. Elle saisit tout de suite son sens caché.
— Pour sûr il comprendra que vous voulez tous les réunir demain, mais comment allez-vous faire pour être au rendez-vous ? Il fera bientôt jour, et l’immeuble est cerné de partout.
— Je trouverai bien une astuce.
Du moins l’espérais-je. La fatigue m’accablait tellement que le peu d’esprit que j’avais déjà en temps normal semblait me faire complètement défaut, présentement.
Une fois Portia partie, je me déshabillai dans l’intention de m’allonger un peu. De l’une de mes poches tomba le petit sachet que Sofia avait consenti à me donner. Pendant un instant, je caressai l’idée de prendre un tout petit peu de sa poudre, dans l’espoir de dormir d’un sommeil sans rêves. Seule la crainte d’en prendre plus que nécessaire et de rester assoupie trop longtemps me retint. Cela et, je le confesse, le fait de savoir que Sofia serait probablement réticente à l’idée de me fournir encore de cette poudre dont je semblais devenir de plus en plus dépendante, ces derniers temps.
De toute façon je n’escomptais pas vraiment dormir mais plutôt somnoler, rester en équilibre entre sommeil et rêves, ainsi que j’ai déjà vu faire les acrobates sur des cordes suspendues dans les airs, au-dessus de la piazza sur le Corso, là où Borgia aimait offrir des divertissements aux citoyens de Rome avant d’être pape. Si le cauchemar venait, je pourrais toujours me réveiller d’un bond. Toutefois, j’avais sous-estimé combien les événements de ces dernières heures m’avaient épuisée. À peine m’étais-je allongée que Morphée m’emporta loin d’ici.
Je n’ai jamais su expliquer pourquoi le cauchemar venait à certains moments et pas à d’autres. En tout état de cause, il semblait logique qu’il me visite maintenant. Or, au lieu de me retrouver derrière le mur, sans défense et terrifiée, je me vis soudain marcher sur une grande place dont je ne voyais pas les limites. Je cheminai un long moment, puis soudain j’entendis une voix chanter, une voix limpide et pure. Je m’arrêtai alors et me retournai, pour découvrir à quelque distance de moi une jeune femme blonde dans une longue robe blanche, qui me sourit et me tendit les bras comme si elle me faisait signe de la rejoindre. Une soudaine vague de froid s’abattit sur moi. Je tentai de reculer ; j’étais figée sur place. Des flammes vinrent me lécher les pieds mais ne purent aller plus loin, protégée comme je l’étais par le mur de glace qui m’entourait. Soudain je vis que le mur commençait à fondre et je criai, d’une voix discordante en comparaison de la douce mélopée de la jeune femme. Tout près de moi j’entendis un homme rire à gorge déployée, et je vis Morozzi qui ouvrait ses ailes et s’envolait au-dessus d’une ville drapée dans les ténèbres.
Je me réveillai en nage. Minerve dormait à côté de moi, indifférente à ma détresse. Les premiers rayons du soleil pointaient entre les cheminées. Il ne me restait plus qu’à m’extraire du lit d’un pas chancelant et à me passer de l’eau sur la figure, en espérant que cela suffirait à chasser cette saisissante vision. Je regardai par la fenêtre dans le jardin, et constatai que les hommes de César étaient bien à leur poste. Ils n’étaient pas allongés paresseusement sous les platanes comme je l’aurais souhaité, mais debout, armes en main et en tous points vigilants. Qu’ils
Weitere Kostenlose Bücher