Francesca la Trahison des Borgia
utile — du moins l’espérais-je. L’empoignant fermement, je donnai un coup sur l’entretoise ; elle ne bougea pas. Lorsque je me mis à envisager la possibilité qu’après avoir fait autant de chemin j’allais peut-être me retrouver bloquée par une vulgaire pièce de métal, la colère s’empara de moi. Bonté divine, je n’allais tout de même pas me laisser abattre par un misérable bout de cuivre ! De toutes mes forces je frappai de nouveau, encore, et encore. Le cuivre est un métal facilement malléable, et personne n’aurait jamais songé que cette entretoise subirait un jour de si mauvais traitements. Au bout de quelques instants je réussis à glisser une extrémité du maillet sous l’un des coins et à faire levier : elle céda enfin. La souche de terre cuite, qui n’était désormais plus maintenue en position, se mit à pencher dangereusement. Je grimaçai en l’entendant se fracasser sur les tuiles. Si l’un des gardes avait l’ouïe fine, ou si un bout de terre cuite leur tombait dessus, tous les yeux se braqueraient sur le toit.
Quand bien même, je n’avais d’autre choix que de continuer. L’ouverture étant dégagée je pus m’extraire, le plus lentement possible, tout en veillant à rester bien accroupie. À mon immense soulagement, le toit était vide et je n’entendis aucun signe de remue-ménage en bas.
Pliée en deux, je traversai le toit d’un pas aussi léger que possible, gardant toujours à l’esprit les pentes raides recouvertes de tuiles rouges lisses sur lesquelles je n’aurais aucune prise si je venais à tomber. Dieu merci le réservoir d’eau était derrière moi, sans quoi il m’aurait fallu en plus trouver le moyen de le contourner. Les paumes de mes mains étaient glissantes tant je transpirais, et j’avais l’estomac tellement noué que j’arrivais à peine à respirer. Je ne suis pas spécialement sujette au vertige, mais j’avançais tout de même en me gardant bien de regarder vers le bas.
Je sautai sur le toit de l’immeuble voisin et le parcourus rapidement, en prenant toujours toutes les précautions possibles pour ne pas me faire voir. La rue en dessous fourmillait comme d’habitude de marchands, de chalands, de mendiants, de voleurs et de nouveaux venus à Rome, tous tentant comme ils pouvaient de se frayer un chemin entre les charrettes et les chevaux qui encombraient le passage. À tout moment, quelqu’un pouvait lever les yeux et m’apercevoir. Je continuai à détaler comme un rat, traversai un autre toit, puis un autre encore, avant finalement d’atteindre l’immeuble au bout de ma rue. C’était l’une de ces nombreuses bâtisses construites à la hâte ces dernières années dans l’unique but de tirer profit de l’afflux de population à Rome. Plutôt que de gaspiller son argent à installer un escalier intérieur, le propriétaire s’était contenté d’en fixer un à l’extérieur, en bois branlant. Je pris le temps de remercier le brave homme de son avarice, avant de le descendre prestement.
Une fois dans la rue, je me dépêchai de me perdre dans la foule. À plusieurs reprises je m’arrêtai pour feindre un intérêt pour un objet quelconque, afin de déterminer si j’étais suivie. Lorsque je fus bien certaine que ce n’était pas le cas, je me dirigeai au pas de course vers le palazzo de Luigi d’Amico.
Le banquier avait dû donner ses instructions pour que l’on me fasse entrer sans délai, car à peine eus-je mis le pied dans la loggia qu’un serviteur affecté me précéda à toute allure jusqu’à une pièce située à l’écart de l’effervescence qui caractérise tous les domaines des grands hommes, à l’étage. C’est ainsi que j’entrai dans un petit bureau, et trouvai Sofia et Guillaume en train d’attendre. L’instant d’après, Luigi nous rejoignait.
— Ma chère Francesca, mais nous étions malades d’inquiétude à ton sujet, s’exclama-t-il dès que la porte fut refermée derrière lui. Ce qui s’est passé hier soir…
— Comment a-t-on pu laisser une chose aussi ignoble arriver ? le coupa Sofia. (Elle avait le visage blême, les cheveux moins bien apprêtés que d’habitude et ses mains, lorsqu’elle les posa sur les miennes, étaient glacées.) C’est déjà bien affreux comme cela que l’Église s’octroie le droit de mener de pauvres gens au bûcher, mais que quelqu’un le fasse de sa propre autorité…
Elle avait véritablement confiance en
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