Francesca la Trahison des Borgia

Guillaume, pour parler ainsi sans détour de ses semblables dans la foi. Le bon dominicain ne montra d’ailleurs aucun signe de désaccord ; ses yeux, qui brillaient d’enthousiasme habituellement, étaient ternis par la tristesse.
    — C’est Morozzi le coupable, n’est-ce pas ? demanda-t-il. Il se murmure au chapitre que quelqu’un de très puissant en ville le protège. J’ai tenté de savoir de qui il s’agissait, mais sans succès jusqu’à présent.
    — As-tu pu découvrir quoi que ce soit d’autre ? m’enquis-je.
    — Seulement que six membres d’Il Frateschi sont logés à la pension voisine de Sainte-Marie. Ils sont déguisés en marchands florentins venus à Rome pour discuter de la rénovation de la basilique.
    C’était une information potentiellement utile, mais je n’avais guère le temps présentement de m’arrêter pour y réfléchir.
    — C’était bien Morozzi hier soir, confirmai-je. J’ai tenté de le tuer un peu plus tôt, mais hélas, j’ai encore échoué.
    — Tu omets de dire que tu as bien failli y perdre la vie, renchérit Sofia.
    Luigi n’avait pas l’air particulièrement surpris, ce qui me fit songer qu’on l’avait déjà informé de mes exploits dans la basilique. Mais le pauvre Guillaume, lui, était horrifié.
    — Loué soit le Seigneur de t’avoir protégée, fit-il dans un souffle. Tu dois être plus prudente, Francesca.
    Je n’avais pas le cœur de détromper le brave frère de l’idée que Dieu puisse protéger un être tel que moi. Je poursuivis :
    — Il ne peut y avoir qu’une raison pour que Morozzi ait pris autant de risques pour revenir à Rome. Il veut s’assurer que Borgia tombe, non aux mains du roi de France, de della Rovere ou de tout autre ennemi, mais de lui-même. S’il arrivait à contrôler les circonstances de la mort du pape, il est certain que les chances de contrôler également son successeur seraient grandement accrues.
    — Savonarole, cracha Sofia.
    Luigi devint blanc comme un linge. Pendant un instant je crus qu’il allait se signer, mais il finit par simplement dire :
    — Dieu nous préserve qu’un homme comme lui obtienne autant de pouvoir sur la chrétienté.
    Guillaume hocha la tête.
    — À la vérité, nous vivons à une bien triste époque pour que des hommes de Dieu se lancent dans une telle entreprise.
    Le pauvre homme n’avait malheureusement pas l’air surpris.
    — Tu as un plan pour l’arrêter ? me demanda Luigi.
    Si l’idée désespérée, pour ne pas dire bizarre, qui s’était formée dans mon esprit pendant que j’étais à la lisière entre ce monde et celui des rêves pouvait passer pour un plan. J’aurais presque souhaité l’oublier au réveil, mais au lieu de cela elle s’était implantée dans ma tête, devenant plus concrète de minute en minute, tandis que j’escaladais le conduit de cheminée, me frayais un chemin à travers les toits et finalement atterrissais dans le bureau privé de Luigi, où mes trois compagnons me regardaient à présent avec empressement.
    — Asseyons-nous, et mettons-nous à l’aise autant que faire se peut, leur proposai-je dans une tentative pour gagner un peu de temps et m’éclaircir les idées.
    Le problème avec les amis, c’est qu’il est bien plus difficile de leur mentir qu’aux ennemis. À peine nous étions-nous assis que Sofia me questionnait :
    — Y a-t-il une raison pour que Rocco ne soit pas parmi nous ?
    — Il n’approuverait pas ce que je suis sur le point de vous proposer.
    D’un autre côté, l’honnêteté a aussi ses avantages — le principal étant l’élément de surprise.
    — Tout ce que je vous demande, c’est de m’écouter jusqu’au bout, m’exclamai-je prestement. C’est bien la raison qui guide mes pas dans cette affaire. Seulement, vous devez me donner la chance de m’expliquer.
    Pendant que Luigi se hâtait de nous servir du vin et de nous passer les coupes, je poursuivis :
    — Vous savez sûrement que César a jugé bon de m’enfermer chez moi sous bonne garde.
    Malgré son air sévère, Sofia ne put s’empêcher de pouffer de rire.
    — Ce qui explique sans doute pourquoi tu es devant nous en ce moment ?
    — Exactement. César a beau avoir tous les droits, il se trompe grandement s’il s’imagine que je vais simplement me conformer à ses désirs.
    — Certes, mais peut-être agit-il pour te protéger…, se hasarda Guillaume.
    Je pris une gorgée de vin — un bon