Francesca la Trahison des Borgia
tournait court et que je meure vraiment, je voulais que Rocco se sente libre de poursuivre sa vie sans se sentir coupable de n’avoir su changer la mienne ? Ce serait faire preuve d’une arrogance étonnante, tout de même. Non, la vérité était que j’étais venue me libérer, moi. Quoi qu’il se passe par la suite, je ne voulais plus me bercer de faux espoirs concernant un avenir de toute façon impossible entre nous.
— Nous vivons en des temps incertains, continuai-je. Personne ne sait ce qu’il peut se passer d’un jour à l’autre. Tu ne devrais pas hésiter à faire ce qui est bon pour toi. Carlotta d’Agnelli…
Il me lâcha les mains et recula d’un pas. Pour la première fois depuis que je le connaissais, son regard se fit froid.
— Je n’ai pas besoin de conseils matrimoniaux, surtout venant de toi. Vraiment, parfois j’ai l’impression que tu es la femme la plus bornée de toute la Création.
Au vu des circonstances, je ne m’attendais pas exactement à des compliments. Mais je n’étais pas non plus disposée à l’entendre se plaindre de ma nature alors que je tentais, pour une raison obscure, de m’élever au-dessus de mes instincts les plus viscéraux.
— C’est peut-être vrai, mais cela ne change rien au fait que…
— Tout de même, se balader en ville dans cette tenue, m’apostropha-t-il d’un geste de la main. Juste après l’atrocité commise dans le Trastevere, en plus. Je n’aurais jamais pensé être un jour d’accord avec César Borgia mais franchement, je trouve qu’il a eu raison de te faire enfermer. Tu es autant une menace pour toi-même que pour les autres.
J’avais déjà ouvert la bouche pour lui lancer une réponse cinglante, mais je me retrouvai tout à coup muette de stupeur. Son alliance inattendue avec César (n’avaient-ils pas failli en venir aux mains il n’y avait pas si longtemps que cela ?) me fit l’effet d’une trahison de la pire sorte. Rocco était censé être mon ami, patient, loyal, celui qui ne perdrait jamais espoir en moi. Et voilà qu’il faisait précisément cela.
Parfait. Dans ce cas, le diable pouvait bien l’emporter.
— Pourquoi ne vas-tu pas le lui dire toi-même ? l’apostrophai-je. Vous pourriez aller vous saouler dans une taverne et disserter pendant quelques heures sur la folie des femmes. Je suis sûre que vous passeriez un bon moment.
— Francesca…
— Il n’y a pas de Francesca qui tienne ! Je suis venue te voir par simple politesse après que tu m’as brusquement annoncé, au pire moment, que tu avais trouvé la compagne idéale. Et à mon avis tu as raison, c’est la femme parfaite ! Alors épouse-la, bon sang, et tu en auras enfin fini avec moi !
— S’il n’y avait pas Nando…
— Balivernes ! Elle est belle, douce, pure, gentille, elle chante comme un ange et sa famille fera de toi un homme riche. Bien sûr que tu veux l’épouser ! Admets-le, enfin !
Il regarda ses pieds, puis de nouveau vers moi.
— Elle n’est pas totalement déplaisante.
Ne vous méprenez pas sur cette appréciation quelque peu mitigée — assurément, ce ne fut pas mon cas. Rocco n’agissait jamais sans réfléchir. S’il arrivait à ne serait-ce qu’envisager une union avec Carlotta d’Agnelli, c’est qu’il se savait prêt à lui offrir sa couche, à lui être fidèle et à se construire une vie avec elle.
Eh bien, soit.
— J’ai dit ce que j’avais à te dire.
Je tournai alors les talons, et partis avec autant de dignité que possible.
Il tendit le bras pour m’arrêter mais je lui fis lâcher prise et continuai mon chemin, passai par l’échoppe, me retrouvai dans la rue et bien vite tournai au coin, bien décidée à me perdre dans la foule anonyme. Derrière moi, j’entendis Rocco crier mon nom — mais peut-être n’était-ce que le vent, car après plusieurs jours d’accalmie il avait recommencé à souffler de plus belle.
Le temps que je revienne sur mes pas et que je regagne mon appartement, mes dernières forces m’avaient quittée. Une fois dans le conduit de la cheminée, je me laissai glisser sur les derniers mètres et atterris sur les mains et les genoux. Je sortis de l’âtre à quatre pattes, pour me cogner aussitôt dans deux robustes jambes ; je levai alors les yeux, et tombai sur un froncement de sourcils interloqué.
— Je commençais à me demander quand vous alliez bien pouvoir revenir, me fit Portia. J’ai passé des heures ici à
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