Francesca la Trahison des Borgia
Borgia devrait être présent aux cérémonies et autres festivités prévues pour l’accueillir, sans compter les noces en elles-mêmes. Ainsi exposé, comment faire pour le protéger efficacement ?
Je m’assis dans le fauteuil le plus proche pour réfléchir à tout cela et levai distraitement les yeux au plafond, comme si quelque inspiration divine allait me venir. Au lieu de cela ce furent des chérubins qui m’apparurent : certains nous observaient avec un grand sourire, pendant que d’autres gambadaient gaiement sur d’énormes nuages blancs.
— Pinturicchio ? proposai-je.
César leva la tête, et me fit un signe de tête affirmatif.
— Tu aimes ?
Je plissai les yeux pour regarder plus en détail.
— Pour être honnête, c’est un peu trop sentimental à mon goût. Les fresques qu’il peint en ce moment dans le nouvel appartement de ton père sont de bien meilleure facture.
Cela le fit rire, et il abandonna l’idée d’ôter ses hauts-de-chausses par la même occasion.
— Ah, Francesca, si toutes les femmes étaient comme toi je me ferais Turc dans le seul but d’avoir un harem.
— Un harem d’empoisonneuses ? Tu aimes vraiment vivre dangereusement.
— Pas plus que toi, répliqua-t-il. As-tu déjà songé à la réaction de mon père quand il découvrira que tu as feint ta propre mort ?
— Peut-être aura-t-il des problèmes autrement plus graves à régler.
Je ne prétends pas comprendre les mécanismes de mon esprit, troublé comme il l’était par cette noirceur qui ne me laissait jamais tranquille bien longtemps. Ainsi passai-je du badinage au soupçon en un éclair, sans que je sache pourquoi. J’en conclus que pendant tout le temps qu’avait duré notre conversation, une partie de moi était restée à l’écart, prudente, réfléchissant à ce détail qu’il avait involontairement laissé échapper.
Il alla vers un autre fauteuil et s’y installa.
— Que veux-tu dire par là ?
Je me levai, me détournai de lui comme pour arranger mes vêtements, et en profitai pour sortir discrètement mon couteau. Puis je me retournai et dans le même temps le glissai derrière mon dos. Mon tour de passe-passe fit s’éveiller la noirceur qui est en moi, un rappel de ce qu’il pourrait fort bien arriver si je ne songeais pas à me contenir.
Ma main enserrant fermement le manche, je lui demandai d’un ton impérieux :
— Qui se trouve dans l’autre appartement ?
J’étais un piètre stratège, c’était le moins qu’on puisse dire. Il aurait mieux valu répondre à ses avances et lui mettre le couteau sous la gorge dans ce moment d’extase qui vient après l’amour, car quel meilleur moment que celui-là pour prendre un homme de court ? Mais passons.
— Tout à l’heure tu as précisé qu’il y avait un appartement identique à celui-ci, dans la maison voisine. Qui est dans l’autre en ce moment ?
— Personne. Pourquoi diable penses-tu… ?
Ah, César ! Ce soir-là, pour une fois, j’aurais préféré que tu te montres un peu moins vif d’esprit.
Sans me quitter des yeux il se leva, puis resta immobile, bras sur le côté, prêt à bondir à la vitesse de l’éclair s’il le jugeait nécessaire.
— Qu’est-ce que tu sous-entends par-là, Francesca ?
— Tu ne sembles guère t’inquiéter que ton père doive très bientôt quitter le castel pour célébrer les noces de Lucrèce. C’est donc que tu dois avoir toutes les raisons de croire que le problème sera réglé avant, non ? Ce qui veut forcément dire que tu sais où se terre Morozzi.
Croyais-je réellement que mon amant ténébreux avait caché Morozzi pendant tout ce temps ? Qu’il était venu en aide à l’homme qui m’avait causé une angoisse aussi infernale depuis un an ?
Souvenez-vous, je n’avais pas encore eu l’occasion d’apprendre la réaction de César à ma mort, hormis ce dont j’avais été témoin à mon retour dans le monde des vivants. Je ne savais rien du vœu désespéré qu’il avait fait au-dessus de mon corps de tuer le prêtre fou – mais l’eussé-je su, je ne me serais pas nécessairement laissée fléchir pour autant.
César était un Borgia jusqu’au bout des ongles, capable d’ourdir des complots à l’intérieur même d’autres complots, jusqu’à en avoir le tournis. Par ailleurs il se disait peut-être que ce n’était pas un péché de se servir du prêtre pour s’attirer les bonnes grâces de son père, du moment
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