Francesca la Trahison des Borgia
d’un grand seigneur.
Je m’en approchai en faisant un détour, et restai un certain temps dans la pénombre d’une porte cochère, d’où je pouvais observer la maison à ma guise. Je remarquai que l’entrée des domestiques se faisait sur le côté. J’attendis qu’un page entre pour me glisser prestement derrière lui avant que la porte ne se referme complètement. Je n’avais pas fait dix pas à l’intérieur que quelqu’un me saisit par le col de ma chemise et me souleva du sol.
— Où te crois-tu, galopin, pour entrer ici en te pavanant de la sorte, comme si tu étais le maître des lieux ?
— Mille pardons, Signore, haletai-je en prenant le ton le plus servile possible. Un message pour le Signore Borgia, du Signore d’Amico.
Pour faire bonne mesure, j’ajoutai :
— À remettre en mains propres, Signore.
L’homme me relâcha, et je réussis de justesse à atterrir sur mes pieds. Il tendit un bras bien en chair, et me montra des escaliers.
— La prochaine fois présente-toi au sergent d’armes, petit morveux, au lieu de fouiner là où tu ne devrais pas. Tu as de la chance d’être tombé sur moi, je te le dis !
Poursuivie par des éclats de rire, je me hâtai de monter pour arriver à l’étage principal de la maison. La loggia, qui donnait sur un jardin intérieur luxuriant, était des plus élégantes avec ses panneaux aux murs, ses colonnes de marbre et ses statues que je soupçonnais fortement d’avoir été « empruntées » aux chantiers de fouilles qui se multipliaient un peu partout en ville. C’est ainsi que je pus admirer en passant un guerrier nu avec son arc dans le dos, un enfant jouant de la harpe et une jeune femme à la poitrine dénudée, qui était peut-être bien Vénus dans toute sa gloire.
Un intendant, à qui je m’empressai de dire que je venais de la part du Signore d’Amico, se contenta de m’indiquer d’un geste brusque une autre volée de marches, qui me mena à un long couloir. Là je repérai une porte conçue pour se confondre avec le mur, dont les domestiques devaient se servir. Je l’ouvris et me retrouvai dans un étroit corridor qui, à ce que j’en voyais, devait courir sur toute la longueur de la maison. Un escalier très raide me mena enfin au dernier étage, où une demi-douzaine de portes se présentaient à moi. En en ouvrant une au hasard, je découvris ce qui était probablement le bureau privé de César ; celle d’après me mena à sa chambre.
Le regain d’énergie qui m’avait fait tenir depuis mon retour à la vie n’allait bientôt plus être qu’un souvenir, je le sentais. Je regardai le lit avec envie, mais songeai que faire montre d’une telle hardiesse dans la maison d’un grand seigneur vaudrait probablement au simple messager que j’étais une bonne correction, si un serviteur venait à entrer là. Par conséquent, j’observai autour de moi jusqu’à repérer une autre porte qui, après examen, s’avéra mener à une petite pièce dont les fenêtres donnaient sur le jardin. Un immense miroir au cadre doré occupait tout un pan de mur. Les trois autres étaient recouverts du sol au plafond d’étagères finement sculptées, sur lesquelles étaient soigneusement pliés des vêtements. Il y avait vraiment de tout : pourpoints en velours, capes en laine avec liseré de soie, chemises de lin fin, cols de brocart, gilets en cuir souple, toutes les couleurs possibles et imaginables de chausses, et pour finir une quantité proprement étonnante de souliers, brodequins, bottes et que sais-je encore. Comme si cela ne suffisait pas, je vis plusieurs coffres fermés au verrou, qui selon toute vraisemblance devaient contenir chaînes, bagues et autres bijoux. Pas de perruques, en revanche : avec la crinière qu’il avait, c’eût été dommage.
Étant trop lasse pour m’émouvoir d’une telle démesure (hormis un soupir, les yeux levés au ciel), je m’assis à même le sol et m’adossai avec délice contre le mur. J’allais fermer les yeux et enfin pouvoir me reposer… lorsque j’entendis des éclats de voix.
— Eh bien, où diable est-il, ce page qui est censé m’apporter un message de d’Amico ?
Murmures, paroles d’apaisement, murmures de nouveau…
— Bon Dieu, mais je suis vraiment entouré d’incapables !
La porte de ma cachette s’ouvrit à la volée et César entra. Dès qu’il me vit assise par terre, il claqua la porte derrière lui.
— Tu me tueras, un jour,
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