Francesca la Trahison des Borgia
pontificales. Mais pour sûr, la protection de Sa Sainteté serait grandement facilitée s’il n’avait pas depuis peu pris une fâcheuse habitude.
Étant donné les innombrables peccadilles commises par le pape, j’avais du mal à imaginer quel nouveau vice il pouvait avoir, et en dis autant au capitaine.
— En ce moment, il a la manie de disparaître, m’expliqua Vittoro.
Ma première réaction fut l’incrédulité. Certes, Borgia restait parfois longtemps in camera, avec interdiction de le déranger. Mais ce n’était un mystère pour personne que le Vicaire de Jésus-Christ sur Terre était doué d’un solide appétit charnel.
— Il s’éclipse certainement pour aller voir La Bella ou une autre femme, expliquai-je.
Il n’y avait aucune raison de croire que Borgia se contentait d’une seule maîtresse, aussi ravissante soit-elle, quand on songeait au nombre de femmes séduisantes à Rome qui l’accueilleraient avec joie.
— Eh bien figure-toi que non, rétorqua Vittoro. Quand cela arrive, il n’est ni dans les appartements de La Bella, ni dans les siens, ni dans les quartiers des invités, et il ne quitte pas non plus l’enceinte du Vatican. Il se trouve ailleurs, dans un lieu inconnu de moi.
— Il y a quantité d’accès discrets pour entrer et sortir du Vatican…
— Quarante-sept tunnels et autres passages, pour être précis. Du moins c’était le cas avant. J’en ai fait sceller quarante-cinq peu après l’élection de Borgia, avec son approbation. Les deux restants sont sous garde rapprochée.
— Dans ce cas, où se rend-il ?
— Ses secrétaires prétendent ne pas le savoir. Ils disent qu’il disparaît depuis l’intérieur même de son bureau. Il y a bien deux portes secrètes dans cette pièce, mais les passages sur lesquels elles ouvrent mènent soit à ses appartements soit au palazzo Santa Maria in Portico. On ne sait tout simplement pas où il va.
— Ni ce qu’il y fait, ajoutai-je lentement. Les implications d’une telle nouvelle étaient considérables, si l’on songeait que Borgia était un intrigant-né. Cet état de fait était en partie dû à sa soif de pouvoir, mais j’étais d’avis que pour lui la vraie vie aussi était un jeu d’échecs, avec simplement des enjeux plus importants.
— Exactement, renchérit Vittoro. Comment suis-je censé le protéger si je ne sais pas ce qu’il mijote ?
— Je vais essayer d’en apprendre un peu plus.
Le capitaine acquiesça d’un signe de tête, visiblement soulagé de voir que j’avais saisi l’importance de cette affaire. Au bout d’un moment, il annonça :
— Quand Sa Sainteté a reçu la nouvelle de la présence de della Rovere à Savone, elle t’a fait mander et tu n’étais nulle part.
Je haussai les épaules, espérant donner l’impression que mon absence n’avait aucune signification particulière.
— Il valait probablement mieux qu’Il Papa prenne le temps de la réflexion, de toute façon.
Le capitano comprenait fort bien, tout comme moi, que le plus fidèle des serviteurs doive parfois faire la sourde oreille. Sans quoi, ce qui est dit dans le feu de l’action peut vite devenir incontrôlable. Mais Vittoro n’était pas homme à se laisser distraire aussi facilement.
— Est-ce que tout va bien, Francesca ?
La familiarité avec laquelle il s’adressait à moi n’avait rien de choquant. Il me connaissait depuis que j’étais arrivée, enfant, au palazzo de Borgia sur le Corso. Lorsque j’avais succédé à mon père, bien loin de condamner mes méthodes un peu spéciales, Vittoro m’avait proposé son soutien et plus encore. Je savais que je pouvais compter sur lui en toute chose, et pourtant j’hésitais encore à me confier à lui. Lux était trop important à mes yeux et, je le craignais, trop vulnérable pour prendre le moindre risque.
— Eh bien, voyons voir, fis-je dans un sourire. Il Papa est peut-être sur le point de donner les Indes aux Portugais, ce qui provoquera une levée de boucliers en Espagne. À moins bien entendu qu’il ne les donne aux Espagnols, auquel cas ce seront les Portugais qui chercheront la bagarre. Il y a aussi la question de Naples… sans oublier toutes ces tentatives de meurtres sur la personne de Sa Sainteté depuis quelque temps… et voilà que maintenant son pire ennemi semble vouloir se préparer à la guerre. Pour couronner le tout, notre maître trouve le moyen de disparaître mystérieusement. Tout bien
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