Francesca la Trahison des Borgia
évidence, car elle préférait les garder dans des vitrines fermées à l’arrière de l’échoppe, pour plus de discrétion.
La pièce fleurait bon le thym, le romarin et la lavande, qui tous séchaient suspendus aux poutres au-dessus de nous. Plusieurs barils de vinaigre étaient alignés le long d’un mur. Sofia croyait grandement aux vertus de ce liquide pour prévenir les infections et maintenir un bon niveau de propreté générale. Elle s’en servait donc quotidiennement mais ce n’était pas sans dommage pour la peau de ses mains, qui était en permanence rouge et durcie.
Pour autant elle était toujours aussi douce dans ses gestes, ainsi que je pus le constater avec le garçonnet qui, bien que pâle, resta calme pendant toute la durée des soins. En ayant terminé, elle s’approcha de lui et murmura quelques mots à son oreille. Bondissant sur ses pieds, il lui fit un signe de tête et la remercia vivement avant de se sauver en courant.
Lorsque nous fûmes seules, elle se lava les mains à la bassine et les sécha soigneusement avant de m’observer avec attention. Ses yeux noirs étaient impénétrables. Je réprimai mon envie de me dérober à son regard.
— Comment te sens-tu ? s’enquit-elle.
— Bien. J’ai vu Rocco, hier. Il s’inquiète de ce qui s’est passé à la villa, mais rien n’indique que l’un d’entre nous ait été pris…
J’aurais préféré que personne d’autre ne soit au courant de ce qui s’était passé chez Portia, mais je ne pouvais raisonnablement y songer. La dure vérité était que les dangers auxquels était exposé Lux commençaient peut-être avec moi – et donc se terminaient de la même manière. Il était raisonnable de penser que ce soit moi et personne d’autre qui ait été la cible des deux attaques. Si c’était le cas, les autres membres du groupe avaient le droit de savoir, ne serait-ce que pour mieux se protéger.
Sofia m’écouta en silence. Je vis la consternation se peindre sur son visage en m’entendant dire que j’avais tué mon assaillant, mais elle attendit que j’en aie vraiment fini pour parler :
— Es-tu vraiment sûre de n’avoir mal nulle part ?
— Absolument certaine. J’ai même réussi à dormir cette nuit, grâce à ta poudre.
Jamais je n’aurais pu évoquer avec elle cette créature que j’étais devenue la veille au soir, qui avait réclamé du sang et n’avait été rassasiée qu’à grand-peine.
— Regarde-moi, lui lançai-je en me levant et en tournoyant sur place, bras écartés, telle une jeune écervelée paradant dans sa nouvelle robe. N’ai-je pas l’air d’aller parfaitement bien ?
C’était un peu ridicule de faire cela, comme je m’en rendis compte assez vite. Mais on aurait dit que je ne pouvais m’arrêter. J’étais visiblement déterminée à faire comme si les événements de la veille ne m’avaient absolument pas atteinte, ou mieux encore, étaient arrivés à une autre que moi.
— Si, et tu m’en vois désolée.
Je cessai alors mes gesticulations, laissai retomber mes bras et la regardai fixement. Pourquoi Sofia, entre tous, me souhaiterait-elle du mal ?
Voyant mon expression, elle me prit les mains et son air se fit grave.
— J’ai déjà vu des personnes réagir comme toi après avoir vécu une expérience atroce. Elles refusaient de voir que cela les avait affectées. Mais ce que nous croyons oublié et enterré revient parfois nous hanter avec une force décuplée.
Que pouvais-je lui dire ? Qu’elle ne devrait pas se faire tant de souci pour moi, dès lors que j’avais pris plaisir à tuer mon agresseur ? Que loin d’être terrassée par la peur, je savourais encore maintenant l’euphorie que mon acte m’avait procurée ?
Mais j’avais dans l’idée que Sofia ne voudrait pas entendre cela. À la place, je lui répondis donc :
— Je te remercie de ta sollicitude, mais je dois rester forte pour affronter ce qui va suivre. Je crains que toute cette affaire soit loin d’être terminée.
Elle sembla comprendre cela, tout au moins.
— Ton courage est admirable mais s’il te plaît, entends ce que je te dis. Je te considère comme une amie très chère, et si jamais tu avais besoin de parler, je serais heureuse de t’écouter.
Oh non, elle ne le serait pas ! Après tout, de quoi pourrions-nous bien discuter ? Certainement pas de la vague de pouvoir qui m’avait submergée au moment où j’avais tué, comme si un démon enfoui dans
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