Francesca la Trahison des Borgia
fait aucun doute qu’ils l’aident. Dans tous les cas j’ai la conviction qu’il était en chemin pour Rome, et je suis venu ici dans l’espoir de retrouver sa piste. Malheureusement jusque-là j’ai fait chou blanc.
— S’il est ici, l’interrompit Sofia, que cherche-t-il ?
— Ça, ce n’est pas vraiment un mystère, rétorqua David. Il cherche à obtenir ce qu’il a toujours voulu, à savoir l’élection d’un pape qui anéantira le peuple juif.
— Dans ce cas, il a un problème, m’exclamai-je. Della Rovere ne vous porte pas dans son cœur mais s’il s’assoit sur le trône de Saint-Pierre, il aura bien d’autres problèmes à régler que celui posé par les juifs.
Je n’aurais certes pas parlé ainsi si nous avions eu cette conversation un an plus tôt, car si della Rovere était parvenu à l’époque à se faire élire pape à la place de Borgia comme il le souhaitait, il aurait probablement signé l’édit condamnant les juifs sans guère songer à autre chose que les profits à se faire en saisissant leurs biens. Mais les circonstances avaient changé, depuis. Avec la découverte de ce qui pourrait fort bien s’avérer un Nouveau Monde, tout le monde retenait son souffle. Ils étaient bien peu désormais, les souverains impatients d’expulser des hommes comptant dans leurs rangs nombre d’individus aptes à financer l’exploitation des terres vierges. Pire encore, ces mêmes hommes seraient probablement les bienvenus chez les Turcs, dont le sultan pourrait décider de s’intéresser à son tour à ces nouvelles contrées, pour peu qu’il y soit encouragé. Quelle ironie, n’est-ce pas, si dans un effort pour « nettoyer » la chrétienté, l’Église gratifiait au final l’Islam d’une Novi Orbis.
Quels que soient ses défauts, della Rovere était suffisamment intelligent pour comprendre cela.
— Morozzi pourrait fort bien voir ses plans encore contrariés, ajoutai-je, en espérant très fort dire vrai.
— Dans ce cas, qui voudrait-il voir pape ? demanda David.
Au moment où il posait la question, la même pensée nous traversa tous trois l’esprit. À contrecœur, je pris la parole pour les deux autres :
— D’après ce que je comprends, Savonarole est un véritable fanatique.
David acquiesça.
— Pire, il a le soutien du peuple puisqu’il prétend vouloir purifier l’Église de sa vénalité.
— Peut-être dit-il vrai, rétorquai-je. Quel meilleur moyen de nettoyer notre Mère la sainte Église qu’en en prenant la tête ?
— Mais tout de même, jamais les cardinaux n’éliraient pareil homme ? s’alarma Sofia. Cette idée la terrifiait visiblement, et à raison. Au moins, les papes corrompus pouvaient être achetés. Mais un vrai fanatique, ayant la conviction sans faille que Dieu agit à travers lui… Il était impossible de présager ce qu’un tel homme serait capable de faire.
— Ils y viendront s’ils sentent qu’ils n’ont pas d’autre choix, objectai-je. Si jamais il arrive à faire descendre suffisamment de gens dans la rue comme à Florence, tout peut arriver.
Dans le meilleur des cas, un conclave était un événement retentissant. Une foule de gens affluait de partout à Rome, où le temps semblait alors comme suspendu, et l’on sentait dans l’air que la situation pouvait dégénérer à tout moment. Ajoutez à cela l’inévitable tension que les gens ressentent lorsqu’est tranchée pour eux une question susceptible d’avoir une telle influence sur leur bien-être, et de là à mettre le feu aux poudres il n’y avait qu’un pas. Si l’Église et ses princes étaient plus respectés – non, disons-le différemment : si le commun des mortels était donné de les voir autrement que comme des hypocrites cupides, les choses ne se passeraient peut-être pas ainsi. Mais de fait…
— Ils doivent être arrêtés, trancha Sofia. (Elle serrait si fort les mains que ses articulations en devinrent blanches.) Nous ne pouvons rester sans rien faire.
— Tu as raison, renchéris-je. Mais si nous voulons avoir ne serait-ce qu’un maigre espoir d’empêcher Morozzi de triompher, nous devons commencer par trouver sa cachette et l’en déloger.
Nous discutâmes alors de la meilleure façon de procéder. Avec l’expansion rapide de Rome depuis la fin du Grand Schisme, la ville était devenue un encore plus vaste labyrinthe de quartiers, rues, venelles. Morozzi pouvait être partout ; à nous trois, jamais nous
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