Francesca la Trahison des Borgia
idiot. Et puis vraiment, quel assassin revêt le blason de son maître pour commettre son acte ?
— C’est exactement ce que je me disais, mais avant que tu en tires des conclusions hâtives…
— Était-ce Borgia ?
Vittoro devait certainement redouter que j’envisage cela, car si c’était vrai je devenais instantanément l’ennemi le plus dangereux de Sa Sainteté.
— J’ai déjà réfléchi à cette hypothèse, poursuivis-je. S’il avait vraiment envoyé quelqu’un pour m’inciter à lui obéir concernant della Rovere, il lui aurait fallu être sûr que je survive à l’assaut.
Auquel cas le pape connaissait même mes secrets les plus sombres, une éventualité qui m’était insupportable.
— Notre maître apprécie bien trop tes services pour te faire courir un tel risque, rétorqua Vittoro.
— Il parle quand même de m’envoyer à Savone, où il est évident que je mourrai de la plus vilaine façon.
— Je suis sûr qu’il n’est pas sérieux. Tu sais comme moi, ajouta-t-il doucement, que cela ne laisse qu’une seule possibilité.
C’est ainsi que pour la seconde fois en autant de jours, j’entendis le nom de l’assassin de mon père sur les lèvres d’un ami :
— Morozzi.
9
Une seule personne, à ma connaissance, était à même de me confirmer si le prêtre fou était de retour à Rome. Le quartier juif se situait pas très loin du Vatican, à un kilomètre de marche peut-être. Je pressai le pas, contournant les tas de déjections (animales comme humaines) qui encombraient les rues. Si la menace d’une crise, d’une guerre – voire d’un nouveau schisme – se rapprochait de plus en plus, Rome n’en restait pas moins une ville florissante. Ses exubérants habitants paraissaient toujours prompts à suivre le vieil adage prôné par Horace, « Carpe diem », en « cueillant le jour présent ». Toutefois, j’aurais été fort étonnée que la majeure partie de ceux que je croisai ce matin-là n’aient pas déjà pris leurs dispositions pour trouver refuge à la campagne en cas de problème, sous la forme d’un parent un peu rustre qui pouvait être persuadé, voire forcé si nécessaire, de les héberger. Aux premiers signes d’une crise grave tous ceux qui le pourraient fuiraient à la hâte, encombrant ainsi un peu plus encore les routes de chariots et le fleuve de barques. Seules les personnes âgées, très pauvres ou honnies seraient abandonnées là. J’allais de ce pas rendre visite à un membre de la dernière catégorie.
L’échoppe d’apothicaire de Sofia Montefiore se situait dans une ruelle étroite non loin de la piazza Portico d’Ottavia, le cœur du ghetto, où se dressent encore les vestiges d’un ancien forum nommé en l’honneur d’Octavie, la sœur du grand empereur Auguste. Si le quartier juif n’était pas entouré de murs (bien qu’il y ait toujours quelqu’un pour suggérer d’en construire un), la plupart des rues qui y menaient étaient bloquées par des tas de pierres et de gravats clairement destinés à compliquer l’accès à la zone. Borgia avait promis de les faire enlever, mais jusque-là rien n’avait été fait.
Les conditions de vie dans le ghetto étaient rendues difficiles notamment par la montée des eaux du Tibre, qui venait régulièrement inonder échoppes et habitations et amenait dans son sillage une véritable plaie pour ses habitants : les moustiques. Seuls les riches (et ils existaient) s’en sortaient mieux en vivant un peu plus en hauteur, dans des sortes de palazzetti fortifiés. Que ce soit pour protéger leurs biens ou simplement parce qu’ils ne voyaient pas d’autre option, les négociants s’étaient depuis longtemps alliés aux rabbins pour mener une politique de coopération avec les autorités – ce qui était loin de plaire à tout le monde.
En passant la porte, je vis Sofia en train de mettre un pansement sur le bras d’un garçonnet.
— Assieds-toi, me pria-t-elle. J’en ai pour un instant.
Je souris au petit garçon et obtempérai. L’avant de l’échoppe ne comptait que quelques tabourets et un simple comptoir en bois derrière lequel l’apothicaire distribuait ses poudres, teintures, lotions et cataplasmes, dans le but de soulager ne serait-ce qu’un peu les maux qui affectaient tant de gens. Au contraire de certains de ses collègues, elle ne prescrivait que les remèdes qu’elle savait être efficaces. Ils n’étaient d’ailleurs pour la plupart pas en
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