Francesca la Trahison des Borgia
souffle :
— Nous devons parler.
Il acquiesça d’un signe de tête et posa une main sur l’épaule de Benjamin.
— Sois gentil de faire comme si tu n’entendais pas ce qu’on va dire, d’accord ?
L’enfant secoua la tête devant la folie des adultes, mais alla quand même s’installer dans un coin, contre un mur. Il sortit une ficelle de sa poche et fit mine de créer des figures avec.
Je décrivis à David ma brève rencontre avec Morozzi de façon considérablement plus calme que je n’y étais parvenue avec Sofia, puis inférai :
— Il est donc évident qu’il prend les passages souterrains pour aller et venir à sa guise. Si je pouvais savoir plus précisément où ils se trouvent…
— Mais c’est qu’il y en a partout, rétorqua David. Rome est un enchevêtrement de catacombes, de rues enfouies, de tunnels, d’égouts, et que sais-je encore. Personne ne saurait vraiment dire qu’elle est leur étendue.
— Mais Morozzi doit forcément les connaître comme sa poche, insistai-je. Il ne prendrait pas le risque de les emprunter, sinon. Et si lui en sait autant, c’est que quelqu’un d’autre les lui a montrés.
— On peut toujours tenter de se renseigner, proposa Sofia.
— D’accord mais sans tarder, je t’en conjure. Nous avons peu de temps devant nous. Un émissaire envoyé par les monarques espagnols va bientôt arriver ici, pour dire à Borgia que s’il souhaite leur appui il doit revenir sur la promesse qu’il a faite aux juifs.
— Nous le savons déjà, répondit David calmement.
Ce n’était guère surprenant, à bien y réfléchir. Si des milliers de juifs avaient été forcés de fuir la péninsule ibérique l’année précédente, d’autres avaient réussi à rester en se faisant conversi, des convertis à la Foi. Ceux qui en avaient décidé ainsi vivaient comme enveloppés d’une chape de soupçon, mais du moment qu’ils ne retombaient pas dans leurs anciens errements de façon trop ostentatoire Leurs Majestés très catholiques étaient obligées de tolérer leur présence, au risque de décourager toute conversion au christianisme.
— Don Diego Lopez de Haro, continua David, est attendu à Rome dans dix jours. Il entamera ensuite des négociations avec Borgia sur plusieurs questions, dont une, malheureusement, nous concerne directement. Mais sache que le but premier de sa visite n’est pas celui-ci. Il vient réconcilier Sa Sainteté et le roi de Naples.
— Les réconcilier, mais comment ? me précipitai-je. Ce nouveau développement était crucial. Borgia cherchait incontestablement une solution à ses problèmes avec Naples, mais pour autant il ne voulait (ou ne pouvait ?) aller que jusqu’à un certain point.
— En persuadant Borgia qu’il n’est pas dans son intérêt de s’allier à l’ennemi de Naples, à savoir la famille Sforza.
La famille à qui Sa Sainteté, en reconnaissance de sa dette envers eux, était sur le point de donner la main de sa fille.
— Ainsi, les Espagnols veulent empêcher le mariage de Lucrèce, en conclus-je. C’était une nouvelle épouvantable pour Borgia, car en accédant à cette demande au moment où les relations avec della Rovere s’envenimaient, il prenait le risque de se voir déposséder d’un allié vital – que dis-je, de se faire un nouvel et puissant ennemi.
En pesant mes mots, je poursuivis :
— Sa Sainteté attend davantage de Leurs Majestés, au regard du cadeau très généreux qu’elle vient de leur faire avec les terres découvertes récemment par le grand Colomb.
David haussa les épaules.
— Borgia peut bien attendre ce qu’il veut, il n’en reste pas moins que les Espagnols ont eu tout le loisir de voir le genre de pape qu’il est depuis quelques mois, et qu’ils sont consternés. Ils savent bien qu’on ne peut pas s’attendre à ce que le Vicaire du Christ soit un saint, mais tout de même. Il va trop loin.
— Es-tu en train de me dire qu’eux aussi veulent le voir destitué ?
Si c’était le cas, nous tombions véritablement de Charybde en Scylla. Et alors là, la catastrophe ne serait plus très loin.
— Pas nécessairement, répliqua David à mon grand soulagement. Ils ont beau se poser en fervents catholiques, Ferdinand et Isabelle cherchent surtout à trouver la stratégie qui leur permettra de renforcer leur pouvoir. Un Borgia affaibli, à la merci de l’Espagne pour sa survie, leur irait très bien.
Sofia, qui nous avait écoutés
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