Frontenac_T1
échoué, le roi avait décidé de lâannexer par la force. Une éventualité susceptible de régler les problèmes du Canada et que Frontenac et Callières caressaient de leurs vÅux, à la condition toutefois quâon leur apporte un secours tangible. Or, il nâen était rien! Le monarque ne prévoyait aucun nouveau soldat et les bâtiments quâil leur cédait seraient de peu dâutilité. LâEmbuscade nâétait quâune frégate légère dâà peine soixante canons, et Le Fourgon , une petite flûte tout juste bonne à transporter le matériel. Les mille cinq cents hommes de lâarmée de terre devaient être recrutés en Canada même, alors que ses unités étaient en partie décimées par les escarmouches incessantes avec lâennemi. Pour prendre la Nouvelle-York, Frontenac et Callières ne pourraient donc compter ni sur des troupes fraîches ni sur une flotte de bons navires de guerre, ce qui sâavérait essentiel pour transporter si loin de Montréal lâartillerie et les vivres. Dans pareil contexte, lâentreprise devenait téméraire, pour ne pas dire carrément impossible.
Le souverain prodiguait pourtant une foule de conseils sur la façon de cerner et dâattaquer la Nouvelle-York, Albany * et Boston. Une fois ces villes conquises, il suggérait dây laisser des garnisons, de désarmer les Anglais et les Hollandais * , dâévincer les suspects, dâemprisonner les officiers et les principaux notables, et de déporter vers les colonies sÅurs les habitants refusant de prêter allégeance. Des considérations sur la façon de gérer une ville conquise qui nâétaient pas nouvelles pour un militaire de la trempe de Frontenac, qui avait assiégé Orbitello, Rosès et Candie, et avait servi pendant plus dâun demi-siècle sur les champs de bataille dâEurope.
Mais le refus du roi de leur fournir une aide plus substantielle nâétonnait ni Callières ni Frontenac, et démontrait à quel point la cour de France était ignorante de la réalité de lâAmérique. Car comment pouvait-on croire possible dâassiéger et de conserver des places fortes comme la Nouvelle-York et Boston avec dâaussi maigres ressources?
Lâinsistance de Frontenac à réclamer de nouvelles recrues pour intensifier la lutte contre lâIroquois nâavait guère été mieux reçue. La veille au soir, Seignelay lui avait débité la sempiternelle rengaine : «Ãtant donné la conjoncture et la menace que les pays limitrophes font peser sur la France, vous comprendrez que le roi soit dans lâimpossibilité de détourner vers le Canada la moindre fourniture navale ou militaire. Vous devrez faire avec les seules ressources dont ce pays dispose actuellement . »
Ãtrangement, les coffres sâavéraient vides et les unités de combat toujours décimées chaque fois quâil était question dâaider la Nouvelle-France. Ah! Il était bien révolu le temps du régiment de Carignan-Salières, ce bataillon de mille cinq cents hommes armés de pied en cap envoyés vingt-cinq ans plus tôt pour défendre la colonie contre les incursions iroquoises. Et cette obstination du ministre à répéter que le Canada coûtait trop cher à la couronne...
La vérité, croyait Louis, câest que la Nouvelle-France était passée de mode. Il y avait beau temps que le sort de la colonie, ce surgeon gracile et toujours à la veille de périr, nâintéressait plus le roi. Dâautant que le castor, principale richesse du Canada, entrait en si grande quantité depuis quelques années quâil commençait à engorger les marchés européens.
Lâattention de Louis fut attirée un moment par lâimmense tableau suspendu au mur, derrière la tête de Seignelay. Représentait-il la conquête navale de Messine ou celle dâAgosta? Il nâaurait su le dire, mais il sâagissait certainement dâune victoire en Méditerranée. Le halo lumineux entourant le vaisseau victorieux faisait au ministre une large auréole chaque fois que, relevant la tête, il sâadressait à ses interlocuteurs. On aurait dit la couronne dâun empereur romain ou lâauréole dâun saint.
Seignelay fit
Weitere Kostenlose Bücher