Frontenac_T1
mystique qui le soulevaient quand il pensait à sa bien-aimée. De lâénergie conquérante qui lâhabitait aussi, dans les tout premiers temps de leurs amours.
â Quant à ce quâils pensent de notre mariage, ils pourraient nous en remontrer, continua le baron sur le même ton critique, ce qui suscita un regain dâintérêt chez ses auditeurs.
Ces jeunes officiers, tous célibataires, pensaient bien devoir un jour prendre femme, malgré les appréhensions légitimes que cette idée éveillait en eux.
â Ces peuples ne peuvent pas concevoir que nous autres, Européens, qui nous attribuons tant dâesprit et de capacité, soyons assez aveugles ou ignorants pour ne pas reconnaître que le mariage est source de peine et de chagrin. Cet engagement que nous prenons pour la vie leur cause une surprise dont on ne peut les faire revenir. Ils regardent comme une chose monstrueuse le fait de se lier avec lâautre sans aucune espérance de pouvoir jamais rompre ce nÅud. Et quelque bonne raison que nous leur servions, ils se tiennent fermes dans leur conviction que nous naissons dans lâesclavage et ne méritons pas dâautre sort que de mourir dans la servitude.
On applaudit la justesse de cette position. Mais Louis, qui avait pour tâche dâinciter ses soldats à prendre femme dans le pays afin de les y fixer définitivement, ne put sâempêcher de rétorquer dâune voix moqueuse :
â Nâécoutez pas ce libertin perverti qui croit si peu au mariage quâil vient tout juste de sâengager auprès des parents dâune jeune fille à entamer de véritables fréquentations. Et qui trouve lâamour si ridicule quâil est lui-même épris comme un damoiseau * à sa première aventure.
Et les autres de rire de bon cÅur.
â Je nâai jamais dit que je cautionnais cette façon de penser, mais jâaime à me questionner, à comparer, continua La Hontan. Et à propos de fréquentations, il y aurait encore fort à apprendre de nos cousins les sauvages. Savez-vous que chez eux, les parents nâont pas voix au chapitre et que les jeunes se choisissent un partenaire selon leur seule inclination? Quâils ont toute liberté de se rencontrer et de se fréquenter aussi longtemps quâils le veulent? Alors quâici, il faut parler mariage aux père et mère après quatre visites faites à leur fille ou alors cesser tout commerce, sous peine de médisance de tout un chacun.
â Ventredieu! Et leurs filles courent aussi lâallumette * avec nâimporte qui et mènent de front trois ou quatre aventures sans que personne nây trouve à redire, rétorqua Louis, lâÅil vibrant, échauffé par la discussion. Cette débauche est-elle souhaitable chez la femme et se trouverait-il ici un seul honnête homme prêt à épouser pareille gueuse? Ne serait-il pas la risée publique et ne lui pousserait-il pas des cornes dâune demi-lieue? Rendez donc grâce à ces parents précautionneux qui veillent à conduire leur fille intacte jusquâà votre lit, messieurs!
Sa réplique porta. On était dâautant plus sensible à ce type dâargument quâil arrivait parfois dans la colonie quâun homme absent de chez lui trop longtemps se retrouve à son retour père de lâenfant dâun autre. Une éventualité qui faisait frémir nâimporte quel mâle à la recherche dâune partenaire.
â Il faut néanmoins admettre que les mÅurs plus libres de nos amis les sauvages présentent aussi de petits avantages... Nâest-ce pas, Louis-Armand? Je ne me souviens pas tâavoir vu souvent lever le nez sur les belles bougresses dâIndiennes que les chefs nous offraient parfois.
La remarque venait du chevalier de Maupon, compagnon dâarmes et dâaventures de La Hontan depuis de longues années dans les pays dâen haut. Il fit mine de bourreler son ami de coups de poing dans les côtes. Les autres rirent grassement, égayés par les sous-entendus égrillards.
â Erreur, messieurs, grave erreur, répondit La Hontan dâune mine scandalisée, un peu trop exagérée pour paraître convaincante. Sâil est vrai que la fatigue et lâabstinence mâont souvent épointé lâécharde, je puis vous
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