Frontenac_T1
de geste quâil connaissait de mémoire depuis lâenfance :
â Je vais frapper, de Durendal, mon épée, de grands coups... sanglante en sera la lame jusquâà lâor du pommeau... Pour leur malheur... les félons païens sont venus à ces ports... Je vous le jure... tous seront frappés de mille coups et sept cents... tous seront livrés à la mort.
La Hontan, qui avait reconnu les paroles, les répéta à son tour avec un tel enthousiasme que tous les officiers prirent le branle dans un même élan et se joignirent à la ronde. Les sassakouez, ces cris et hurlements à la mode des sauvages, montèrent et sâentremêlèrent aux paroles épiques dans une fureur bachique. Même les Iroquois christianisés semblaient gagnés par lâeuphorie. Les autres alliés, séduits par les manières peu protocolaires du vieux gouverneur, lui répondirent en intensifiant leurs acclamations et en entrant eux aussi dans le jeu : ils se levèrent en désordre et se mirent à danser, chanter et hurler, pendant que leurs musiciens commençaient à frapper frénétiquement leurs tambours, les chichicoués . Le tomahawk de Louis passa successivement aux mains des Iroquois catholiques, puis à celles des Outaouais, des Hurons, des Nipissingues, des Cris et des Poutéouatamis, pour finir par tomber dans celles des Montagnais. Le pacte était scellé et la chasse aux Iroquois ouverte à nouveau.
* * *
Le festin qui suivit ces exceptionnelles délibérations fut à lâavenant : tout y était démesuré. Trois bÅufs entiers, quinze gros chiens, des dizaines de livres de pruneaux et de raisins secs y passèrent. Une large distribution de tabac accompagna ces mets. Des tréteaux avaient été montés en hâte derrière la maison de Callières, près des baraquements militaires. Ãgayés par la chaude réception, lâabondance dâaliments et lâatmosphère dâeuphorie qui régnait, les Indiens se gavaient sans limite. Pour le vin, il coulait parcimonieusement, autant parce quâon en manquait que parce que les invités en étaient peu friands : seule lâeau-de-vie avait leur faveur.
En aparté, sous les grands chênes et face au fleuve, se dressait une autre table, habillée celle-là de nappes blanches et couverte de plats raffinés. Frontenac et Callières y prenaient place, entourés des principaux sachems , des officiers et de leur dame. La conversation était fort animée.
â Nous avons besoin de beaucoup de fusils et de poudre pour tenir tête à lâennemi. Les Iroquois sont armés jusquâaux dents par les Anglais et les Hollandais, dont ils obtiennent les armes à bon prix. Ils ne manquent ni de forgerons ni dâarmuriers pour les réparer quand elles brisent, contrairement à nous, protestait avec vigueur un chef outaouais.
Louis semblait tout oreille, même si la chanson nâétait pas nouvelle. Il aurait pu la réciter mot pour mot tant elle se répétait dâune année à lâautre.
â Nos fusils sont en mauvais état, continuait lâhomme, nous en manquons, comme nous manquons dâartisans pour les réparer. Et il faut voir, mon Père, comme on nous arrache le cÅur. Tes commerçants nous saignent aux quatre veines. à Albany, les Anglais ne prennent que deux castors pour un fusil, alors que tes marchands en demandent cinq! Et pour la poudre, câest pire encore : on exige ici quatre castors pour huit livres de poudre, alors que les Anglais nâen prennent que deux! Mon Père, mets un frein à la cupidité de tes hommes! Nous avons fait un long chemin pour venir jusquâà toi, nous avons chassé tout lâhiver dans des conditions terribles pour ramener des peaux de grande valeur. Quâon ne nous les échange pas pour quelques bagatelles. Nous sommes pauvres et nous manquons de tout. Sois généreux pour tes misérables enfants.
Ce que ce grand chef exprimait traduisait lâétat dâesprit des autres. Des récriminations qui revenaient inlassablement dans leur bouche. Pour des raisons liées à des coûts de production et de transport trop élevés, autant quâà des politiques axées sur les seuls intérêts de la métropole, les fournitures françaises sâavéraient
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